Cette thèse porte sur les processus d’édition : elle défend l’hypothèse qu’ils sont constitutifs de la production du sens et qu’ils reflètent des visions du monde plurielles. Nous considérons le phénomène de fabrique d’édition, dans lequel des dimensions techniques sont imbriquées, telles que la construction de procédés de fabrication et de production de formes, d’objets et d’artefacts que sont les livres, ou tel que le travail sur le texte, comme l’architecture des contenus, la structuration sémantique et la composition typographique. L’acte éditorial comprend autant la formalisation d’un texte que la constitution des outils permettant ce travail.
#0.1. Interroger la fabrication technique</>
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L’invention de l’impression typographique a engendré de nombreuses évolutions dans la fabrication du livre, depuis des procédés manuels jusqu’à l’automatisation en passant par la mécanisation. Les méthodes et les outils pour faire des livres ont encore été bouleversés par l’émergence puis l’ubiquité du numérique, notamment avec la place qu’occupent désormais les logiciels et le travail en réseau. Ce numérique accélère, bouscule et interroge les pratiques d’édition, depuis la réception d’un manuscrit jusqu’à la diffusion d’un livre. Des chaînes d’édition apparaissent, elles sont des ensembles techniques qui rassemblent les outils et les rouages nécessaires à la production de fichiers informatiques, pour l’impression de documents paginés ou pour la mise à disposition de livres numériques dans des formats divers et sur des plateformes multiples. Pour certaines structures d’édition, le recours à des logiciels — majoritairement propriétaires ou opaques — n’est pas une fatalité, elles se positionnent contre cette approche qui masque les mécanismes techniques, et décident d’assembler ou de construire les outils qui leur sont utiles. Observer ces pratiques nous permet d’interroger l’activité même d’édition, pratiques que nous pouvons qualifier de non conventionnelles et qui génèrent de nouveaux modèles épistémologiques. Le pas de côté opéré par ces initiatives pose la question de la fabrication du sens.
Nous interrogeons les procédés techniques d’édition dans le domaine des lettres, nous déterminons quelles visions du monde s’incarnent dans leur mise en place. Nous considérons que la pensée est imbriquée dans des processus dispositifs ; il convient ainsi de déterminer quel est le déroulement de réalisations éditoriales comme la fabrication d’un livre. Si la place hégémonique de plusieurs logiciels semble empêcher tout questionnement sur la technique, c’est pourtant en étudiant des pratiques originales et parfois marginales que nous sommes en mesure de dévoiler et de partager l’agencement de nouvelles modélisations créatrices de sens. Ces positionnements politiques et poétiques s’expriment dans de nombreux paramètres du livre — en tant qu’objet ou artefact et par des pratiques éditoriales. Quelles relations entretiennent le texte et la technique dans les opérations d’édition ?
Notre hypothèse considère que l’acte éditorial est fait d’un double mouvement : le travail sur le texte et l’élaboration des éléments techniques pour ce travail. Il s’agit d’une imbrication des différentes opérations techniques liées au texte et à sa formalisation, et de la constitution de l’assemblage des outils nécessaires à ces opérations. Dit autrement, la mise en place des éléments techniques nécessaires à une chaîne ou à une fabrique d’édition fait partie intégrante de l’acte éditorial et de la production du sens. L’entremêlement des phases de révision ou de composition du texte, avec la création de programmes qui permettent ces opérations, est un phénomène que nous qualifions de fabrique d’édition. Ces fabriques d’édition sont de nouveaux modèles épistémologiques, en tant qu’elles façonnent des modèles de connaissance technique et textuelle, et constituent aussi des modèles de savoir.
#0.2. Situer notre recherche</>
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Ce travail de recherche sur l’édition s’inscrit dans plusieurs champs, cette pluridisciplinarité forme une convergence.
Notre étude d’objets éditoriaux et de structures d’édition ancre notre recherche dans le vaste champ littéraire (Bourdieu, 1998) Bourdieu, P. (1998). Les règles de l’art: genèse et structure du champ littéraire. Éditions du Seuil. . Nous analysons plus spécifiquement des dispositifs qui articulent texte et technique (Archibald, 2009) Archibald, S. (2009). Le texte et la technique: la lecture à l’heure des médias numériques. Le Quartanier. et qui sont à l’origine d’objets culturels qui forment la littérature, objets considérés comme des matérialités (Chartier, 2005) Chartier, R. (2005). Inscrire et effacer : culture écrite et littérature, XIe-XVIIIe siècle. Gallimard le Seuil. . Les sciences de l’information et de la communication constituent une diversité de théories qui analysent le rôle joué par les processus d’information et de communication sur l’espace social, économique et politique (Ávila Araújo, 2022) Ávila Araújo, C. (2022). Épistémologie des sciences de l’information : histoire intellectuelle des concepts, théories et paradigmes. Revue française des sciences de l’information et de la communication(24). https://doi.org/10.4000/rfsic.12443 . Il s’agit plus spécifiquement d’étudier l’édition en tant que dispositif d’information, et ainsi de convoquer des théories comme l’énonciation éditoriale (Souchier, 1998) Souchier, E. (1998). L’image du texte pour une théorie de l’énonciation éditoriale. Les cahiers de mediologie, 6(2). 137–145. https://doi.org/10.3917/cdm.006.0137 ou l’éditorialisation (Vitali-Rosati, 2020) Vitali-Rosati, M. (2020). Pour une théorie de l’éditorialisation. Humanités numériques(1). https://doi.org/10.4000/revuehn.371 , ou encore d’aborder le concept de chaînes d’édition (Crozat, 2012) Crozat, S. (2012). Chaînes éditoriales et rééditorialisation de contenus numériques. ADBS. Consulté à l’adresse https://hal.inria.fr/hal-00740268 .
Les études du livre et de l’édition se consacrent à des phénomènes globaux tels que la constitution du savoir à travers l’histoire de l’édition (Sordet & Darnton, 2021) Sordet, Y. & Darnton, R. (2021). Histoire du livre et de l’édition : production & circulation, formes & mutations. Albin Michel. , considérant le livre comme un moteur de l’histoire (Febvre & Martin, 1957) Febvre, L. & Martin, H. (1957). L’apparition du livre. Albin Michel [1999]. . Ces études observent et analysent les évolutions historiques et sociales auxquelles l’édition contribue (Eisenstein, 1979) Eisenstein, E. (1979). The Printing Press as an Agent of Change: Communications and Cultural Transformations in Early Modern Europe. Cambridge University Press. , ainsi que les enjeux économiques autour du livre (Mollier, 2007) Mollier, J. (2007). Où va le livre ? La Dispute. .
Le numérique constitue un terrain de recherche pour ces études de l’édition et pour les sciences de l’information et de la communication, permettant de traiter des questions centrales comme l’auctorialité (Broudoux, 2022) Broudoux, É. (2022). Éditorialisation et autorité: dispositifs info-communicationnels numériques. De Boeck supérieur. , ou comme l’apparition et la transformation de métiers et de pratiques (Zacklad, 2007) Zacklad, M. (2007). Espace documentaire participatif et gouvernance. , plus spécifiquement dans l’édition numérique (Sinatra & Vitali-Rosati, 2014) Sinatra, M. & Vitali-Rosati, M. (dir.). (2014). Pratiques de l’édition numérique. Presses de l'Université de Montréal. Consulté à l’adresse http://www.parcoursnumeriques-pum.ca/1-pratiques . Les études des médias nous permettent de disposer d’outils théoriques pour interroger le livre et analyser ses évolutions dans une perspective de (re)médiation (Bolter & Grusin, 2000) Bolter, J. & Grusin, R. (2000). Remediation: understanding new media. The MIT Press. . Les médias sont des structures de communication qui reposent sur des formes technologiques et leurs protocoles (Gitelman, 2006, p. 7) Gitelman, L. (2006). Always Already New: Media, History and the Data of Culture. The MIT Press. . En considérant le livre comme un média, et l’édition comme étant à son origine, nous relevons les tensions inhérentes à l’étude de ces objets.
Enfin, nous adoptons l’approche des humanités numériques qui contribue à constituer une méthodologie articulant recherches théoriques, expérimentations pratiques, et regards réflexifs et critiques (Burdick, Drucker & al., 2012) Burdick, A., Drucker, J. & Lunenfeld, P. (2012). Digital_humanities. MIT Press. . Nous considérons que les humanités numériques se sont en grande partie fondées sur des pratiques d’édition (Mounier, 2012) Mounier, P. (dir.). (2012). Read/Write Book 2: une introduction aux humanités numériques. OpenEdition Press. , et que les enjeux de publication restent au cœur de cette approche. La propension à construire les outils nécessaires à une recherche scientifique contemporaine caractérise également l’approche dite des digital humanities (Ramsay, 2016) Ramsay, S. (2016). On Building. Dans Terras, M., Nyhan, J. & Vanhoutte, E. (dir.), Defining digital humanities: a reader. (pp. 243–245). Routledge. . Nous nous plaçons clairement dans cette tendance, ne pouvant pas envisager une pratique académique sans participer à l’élaboration des processus techniques d’émergence et de production du sens, et à des environnements collectifs de fabrication critique, qui relèvent d’un nouveau type d’herméneutique.
#0.3. Imbriquer recherches théoriques et expérimentations</>
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Notre méthodologie est articulée autour de recherches théoriques dans les domaines mentionnés, d’études de cas d’artefacts ou de dispositifs éditoriaux, et d’expérimentations de chaînes d’édition menées principalement à la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériquesEn lien avec le Centre de recherche interuniversitaire sur les humanités numériques et le Groupe de recherche sur les éditions critiques en contexte numérique. Cette méthodologie est ainsi construite autour d’un mouvement réflexif qui allie recherche théorique et expérimentations pratiques. Notre hypothèse s’est fondée à la suite de l’étude et de la mise en place de chaînes d’édition et de publication, c’est donc autant dans l’analyse de dispositifs techniques d’édition que dans la conception et la programmation de tels processus techniques que nous avons pu identifier ce phénomène de fabrique d’édition.
Notre corpus est d’abord constitué de dispositifs, tels que des chaînes d’édition, mais aussi plus spécifiquement des livres, des logiciels, des programmes informatiques et des plateformes. Les objets de notre corpus s’inscrivent dans le domaine des lettres, c’est-à-dire la littérature au sens large comprenant les essais et les publications savantes en sciences humaines. Nous établissons deux grilles méthodologiques pour établir nos études de cas, la première est appliquée pour sélectionner ces objets, la seconde pour structurer ces études.
Les livres et les dispositifs d’édition retenus pour nos études répondent aux quatre critères suivants : modularité, ouverture, originalité et hybridation. Il s’agit d’une part de considérer les processus techniques, leur modularité correspondant à une décomposition de l’outillage. Cette approche est opérée de façon critique pour distinguer la fonction de l’outil, et nous permet d’identifier des composants plutôt que des solutions. L’ouverture signifie une volonté de rendre disponibles des informations sur la fabrication des livres voire sur les processus techniques ; cela se traduit par la mise à disposition publique du code source (sous des licences distinctement open source ou libres) ou la publication d’éléments de documentation permettant d’en comprendre le fonctionnement. Par originalité nous entendons un caractère non conventionnel, les objets se distinguant par leur forme, leur démarche éditoriale et politique. Nous observons des écarts entre plusieurs initiatives d’édition, qui s’expriment à travers des positionnements forts par rapport à la technologie (par exemple construire ses propres outils plutôt que d’acheter des logiciels privateurs) ou des choix radicaux de diffusion (décider de ne pas intégrer un écosystème économique par exemple). Nous considérons que ces écarts sont particulièrement signifiants lorsqu’il s’agit de repérer et de définir des modèles épistémologiques émergents. Enfin le critère d’hybridation concerne la faculté de dispositifs à mêler une tradition imprimée avec des technologies numériques, l’une enrichissant les autres et réciproquement.
Notre grille d’interprétation comporte quatre phases complémentaires qui nous permettent d’établir des études de cas : description générale et contextuelle, fonctionnement, spécimen(s), et critiques. La description a une double fonction de présentation globale et de remise en contexte dans un domaine spécifique. Les structures, les programmes et les artefacts ont nécessairement une histoire que nous décrivons en les mettant en regard avec d’autres initiatives lorsque cela est pertinent. Le fonctionnement est décrit de façon analytique, en donnant des informations techniques qui permettent de comprendre la modélisation adoptée ou constituée. Cela est rendu possible aussi en présentant des spécimens dans le cas de chaînes d’édition ou de dispositifs techniques. Enfin, l’étude comprend une dimension critique qui consiste à mettre en tension les analyses de l’objet et les théories et concepts abordés, en replaçant continuellement ce travail dans le cadre de cette thèse. Lorsque cela s’avère approprié, des liens sont établis avec d’autres objets similaires. Ces phases interprétatives et analytiques sont ajustées en fonction des types d’objets (artefact ou processus par exemple) et de leur périmètre (démarche isolée ou programme largement utilisé notamment).
Notre démarche relève d’une forme de recherche-action, les projets dans lesquels nous nous impliquons font partie intégrante de notre recherche (Nicolas-Le Strat, 2018) Nicolas-Le Strat, P. (2018). Quand la sociologie entre dans l’action: la recherche en situation d’expérimentation sociale, artistique ou politique. Éditions du commun. . Notre méthode est fondée autour de réalisations de prototypes, de modélisations éditoriales et d’outils dans le domaine de l’édition. Plusieurs chaînes de publication ont ainsi été mises en place en lien direct avec des structures d’édition, comme projets de recherche mêlant théorie et pratique, mais aussi comme contribution à un domaine professionnel.
Durant la réalisation de la thèse, plusieurs productions académiques ont permis de soumettre des hypothèses qui participent à cette thèse, jalonnant notre cheminement de recherche et servant à confirmer certaines de nos réflexions. Plusieurs sections de ce texte ont ainsi d’abord fait l’objet de communications, d’articles de revues ou de chapitres d’ouvrages collectifs (parus ou en cours de parution). Cet effort de formalisation des étapes de recherche incluses dans le doctorat a été réalisé au sein de diverses communautés académiques : humanités numériques, sciences de l’information et de la communication, littératures. Ces productions, remaniées en grande partie pour ce texte, sont indiquées dans les sections correspondantes. Aussi, le carnet de recherchehttps://www.quaternum.net/phd, mis en place dès le début de notre parcours de doctorat, représente un espace d’écriture et de prototypage dans lequel plusieurs intuitions théoriques et des expérimentations pratiques ont été regroupées, comme des publications intermédiaires indispensables à la constitution de notre recherche. Ces deux pratiques d’écriture, qui ont ponctué l’établissement de cet objet académique qu’est la thèse, sont des outils de la pensée.
Cette méthodologie nous amène à adopter une structure de plan spécifique afin d’adresser ces différents types de recherche tout en les combinant. L’étude de dispositifs multiples forme une progression dans laquelle des analyses théoriques sont fondées, et l’examen de principes conceptuels constitue un développement critique qui est articulé avec la présentation d’expérimentations techniques. Il est pour nous impossible de séparer strictement ce qui relèverait d’un préalable théorique d’une confirmation pratique postérieure. Nous considérons fermement que les outils conditionnent la pensée. Chaque chapitre est consacré à une thématique (livre, édition, numérique, format, logiciel) et suit la même structure en cinq sections : établissement d’un concept via la présentation et l’analyse de la thématique ; prolongement critique et théorique ; illustration avec une première étude de cas d’un dispositif extérieur ; construction d’une hypothèse conceptuelle en réponse à la thématique ; épuisement de cette proposition avec une deuxième étude de cas d’un dispositif expérimenté auquel nous avons contribué — ou dont nous sommes à l’origine. L’articulation de ces sections au sein de chaque chapitre nous permet de construire une modélisation épistémologique lisible.
Cette thèse constitue une production universitaire performative, que ce soit en termes de méthodologie, dans sa dimension de recherche-action, dans la réalisation des artefacts permettant sa lecture ou dans la publication des sources de ce textehttps://src.quaternum.net/t.
#0.4. Plan de la thèse</>
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Le premier chapitre définit le livre depuis ses procédés de reproduction, actant la dimension technique à la fois comme constitutive de cet objet culturel — et de fait désormais industriel —, et trace énonciatrice. Le livre porte ses conditions d’existence technique, cela se révèle également dans ses formes — multiples et interreliées aux intentions éditoriales — que nous étudions puis illustrons avec l’analyse du livre Busy Doing Nothing de Rekka Bellum et Devine Lu Linvega. Le livre est un artefact qui expose un processus de fabrication, celui-ci permet d’identifier des façons de faire. Ainsi il ne doit plus être considéré comme un résultat, mais comme le reflet des conditions de l’émergence du sens. La description critique d’un livre de la maison d’édition les Ateliers de [sens public] constitue une étude d’un acte éditorial déployé en des formes et versions complémentaires.
L’édition est l’objet du deuxième chapitre ; nous étudions ce processus en tant qu’une série d’actions qui forment un dispositif. Nous formulons l’hypothèse que l’édition est une activité hybride et réflexive, un acte plutôt qu’un geste, que nous explicitons et confirmons avec l’étude de la structure d’édition Abrüpt. Cette étude de cas présente l’originalité de la démarche d’Abrüpt, ainsi qu’un (anti)livre (dynamique) et un gabarit. C’est un acte éditorial que cette maison d’édition réalise, constituant une forme d’éditorialisation. Nous explicitons ce concept d’éditorialisation, en tant qu’il se constitue comme une réaction théorique à l’édition dans un environnement désormais numérique. La seconde étude de cas est consacrée à nouveau aux Ateliers de [sens public], mais en étudiant cette fois le Pressoir, la chaîne d’édition conçue et développée pour fabriquer des livres et permettre leur diffusion dans l’espace numérique.
Dans le chapitre 3, nous prolongeons les analyses engagées sur l’édition et le numérique, d’une part en définissant le numérique et ses cultures, d’autre part en apportant une critique de l’homothétisation — qui découle d’une duplication du modèle épistémologique de l’imprimé dans le numérique. L’analyse d’Ekdosis, paquet LaTeX permettant un processus d’encodage d’éditions critiques de textes classiques, est une perspective de faire avec le numérique. Nous établissons ensuite une analyse du fondement de l’édition numérique au prisme des humanités numériques, principalement dans la relation qu’entretiennent les sciences humaines avec des pratiques d’édition et de publication. Un tournant est opéré avec les humanités numériques, en tant que démarche critique, réflexive et outillée. L’étude de cas dédiée au projet éditorial Le Novendécaméron s’inscrit dans cette réflexion, en analysant les mécanismes mis en place pour éditer et publier de la littérature, aujourd’hui.
Les formats structurent et modélisent le sens, c’est l’objet du chapitre 4 qui analyse cette question dans l’activité d’édition. Nous proposons un panorama des possibilités sémantiques dans des environnements contraints et néanmoins ouverts comme le format texte et les langages de balisage. Le choix et l’usage des formats correspondent à des modélisations spécifiques, comme l’atteste l’étude du langage de balisage léger Markdown et des convertisseurs qui l’accompagnent comme Pandoc. De cette analyse découle le principe d’édition multi-formats à partir d’une source unique, ou single source publishing. Il se révèle autant une pratique spécifique qu’une opportunité pour envisager des modes d’édition sémantique, comme une scénarisation du sens dans les méthodes de fabrication du texte en artefact. Nous confrontons les principes de la publication multimodale basée sur une source unique en analysant le module d’export de formats de l’éditeur de texte Stylo et des pratiques qui lui sont liées.
Le cinquième chapitre constitue une critique du logiciel, d’abord d’un point de vue général avec une exploration définitoire et historique, puis en observant en particulier son évolution et son usage dans des activités d’édition. Nous présentons et analysons des initiatives éditoriales qui refusent le logiciel, qui pensent et construisent leurs propres dispositifs, leurs fabriques. La maison d’édition C&F développe des pratiques éditoriales et typographiques autour du mouvement dit du CSS print, son étude permet d’appréhender des choix constitutifs de l’acte éditorial. Ces éléments nous conduisent à développer le concept de fabrique avec les théories de Tim Ingold et de Vilèm Flusser, afin d’identifier et de nommer ce phénomène où les pratiques programmatiques sont imbriquées dans les manipulations du texte. Ce phénomène de fabrique d’édition est confronté à deux expérimentations que nous avons menées dans le cadre de cette thèse : un espace intermédiaire d’écriture et d’édition, et la fabrication de cette thèse.
#0.5. Des modes de lecture</>
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Cette thèse constitue une fabrique d’édition, plusieurs artefacts en permettent la lecture. Deux formats sont proposés — un site web et un document paginé au format PDF —, auxquels s’ajoute un accès aux sources de ces documentshttps://src.quaternum.net/t. Ces fichiers sont générés via un balisage et une modélisation sémantiques. Les principes de l’édition multi-formats à partir d’une source uniqueVoir 4.4. Le single source publishing comme acte éditorial sémantique sont appliqués, ce qui signifie que plusieurs artefacts sont produits depuis un même fichier via des gabarits qui modélisent le sens. La version web, en flux, constitue le format idéal pour lire et naviguer dans la thèse, en raison des liens hypertextes (renvois internes divers et liens externes) et de l’espace commun de lecture entre le texte et les sources. Ces sources sont les fichiers à l’origine des pages, ainsi que dans les gabarits qui en permettent la modélisation et les différents fichiers de configuration. Ces modèles de données ont été conçus et écrits conjointement aux argumentations, ils n’en sont pas dissociables et c’est pourquoi des liens sont régulièrement placés en regard de différents types de contenus — chapitres, citations longues, définitions et liste des définitions, figures (images et codes), table des matières, etc. — pour les rendre accessibles. L’équivalent paginé a été imaginé comme une adaptation de ce fonctionnement, bien que dans cette version les allers-retours entre les renvois — indiqués par des numéros de page — soient de fait fastidieux.
Enfin, pour lier plus fortement cette thèse et ses modes de fabrication, il est possible d’accéder à l’historique de versionnement de chaque portion. En l’occurrence l’unité ici est la section, et à la suite de chacune d’entre elles sont placés un lien pour accéder à la source et un identifiant qui correspond à la dernière modification. Cet effort global de partage ou de dévoilement participe à un positionnement fort : la recherche scientifique, et plus globalement la constitution de la connaissance, n’est possible qu’en rendant libre l’accès autant aux productions scientifiques qu’à leur source (ou aux jeux de données le cas échéant).
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