Chapitre 1Le livre, cet artefact éditorial

Table des matières

Le livre est un objet culturel et industriel. Son caractère commun dissimule des processus intellectuels, techniques et économiques complexes. Que nous révèlent une définition approfondie du livre et une description des procédés techniques qui sont à son origine ? Le livre est le résultat de modes de production du savoir, son étude nous permet à la fois d’identifier des modélisations épistémologiques et d’établir le lien entre la technique et un dispositif de production et de diffusion de la connaissance. Le livre, en tant qu’aboutissement d’une chaîne, porte ses conditions d’existence, il est un artefact.

Nous confrontons plusieurs considérations du livre — fonction, concept et aspects — en explorant certains des événements historiques importants des modes de reproduction de cet objet paginé. Ainsi, nous établissons un lien entre les évolutions du livre et celles de la technique. La circulation du savoir est liée aux formes du livre, l’analyse de certaines d’entre elles nous amène à distinguer fabrication et production, et à refuser une dualité entre contenant et contenu. Les livres qui se démarquent par leur forme expriment des modalités spécifiques de production et de diffusion de la connaissance. C’est pourquoi nous nous intéressons à Busy Doing Nothing de Rekka Bellum et Devine Lu Linvega, un ouvrage dont la forme et ses formats questionnent la façon dont un livre peut être conçu et édité dans une perspective ouverte et expérimentale. À partir de cette étude de cas et de nos recherches théoriques sur une définition conceptuelle du livre, nous sommes en mesure de considérer le livre comme un artefact. Il s’agit alors d’affirmer les liens entre livre et technique, la définition du livre dépendant des conditions de sa fabrication et de sa production. L’étude de cas d’une expérimentation à laquelle nous avons contribué, l’ouvrage Exigeons de meilleures bibliothèques de R. David Lankes publié aux Ateliers de [sens public], illustre et épuise le concept d’artefact éditorial, en tant que mode de production d’un objet culturel qui conserve les marques d’un processus technique de fabrication, et donne également à voir une pratique non conventionnelle d’édition.

1.

#1.1. Le livre : fonctions, concept et modes de production
</>Commit : 209ee7c
Source : https://src.quaternum.net/t/tree/main/item/content/p/01/01-01.md

Comment définir le livre ? Le livre a une longue histoire faite de nombreux écrits qui le racontent et le définissent. Le livre est autant objet que sujet, il se décrit lui-même. Ces définitions du livre convergent vers un point qui nous intéresse plus particulièrement : son lien avec la technique et plus précisément avec ses modes de conception, de fabrication et de production. À partir d’approches pluridisciplinaires, que ce soit en histoire, en littérature ou en étude des médias, nous établissons une définition du livre en tant que concept, et objet ou influence des évolutions techniques.

#1.1.1. Le livre comme fonctions et comme concept

En 1964 l’Unesco donne une définition du livre particulièrement synthétique qui tient en une phrase, rapportée par Émile Delavenay dix ans plus tard :

[Le livre] […] est une publication non périodique imprimée contenant au moins 49 pages, pages de couverture non comprises.

(Citation: , , p. 9) (). Pour le livre. Unesco.

Publication, non périodique, imprimée et un nombre de pages minimum sont les quatre caractéristiques les plus élémentaires du livre, listées par l’Unesco, qui, en tant qu’organisation mondiale, est à même de proposer une définition qui peut être considérée comme universelle. La distinction est d’emblée faite avec des objets moins épais, comme les brochures dont le nombre de pages peut être inférieur aux 49 pages données ici comme minimum, ou encore avec d’autres objets éditoriaux comme les revues, par définition périodiques. Le livre est donc un objet clos, dans le temps puisqu’il est non périodique et dans l’espace avec un nombre de pages requis, et disposant de dimensions spécifiques et reproduit en de multiples exemplaires. Les perspectives de recensement, de classement et de conservation des livres prennent une place importante ici, le livre doit être un objet identifiable. Mais ce que dit surtout l’ouvrage cité plus haut, en 1974, c’est le rôle du livre : un support de transmission et de conservation dont le contenu peut être divers, et dont les conditions de production et de diffusion sont pour cela déterminantes.

Albert Labarre donne quant à lui trois notions essentielles du livre, qui peuvent être entendues comme des fonctions :

Pour définir le livre, il faut faire appel à trois notions dont la conjonction est nécessaire : support de l’écriture, diffusion et conservation d’un texte, maniabilité.

(Citation: , , p. 3) (). Histoire du livre. Presses universitaires de France [2001].

Si l’écriture est entendue ici comme une suite de signes graphiques représentant une langue, l’écriture peut être plus largement considérée comme toute sorte d’inscriptions destinées à délivrer une information — les domaines de l’illustration ou du code peuvent par exemple être compris dans cette considération à partir du moment où il y a une syntaxe (graphique, sémantique ou fonctionnelle). Il s’agit bien de transmettre une information, la diffusion est un point essentiel quant à la nature de cet objet. Une précision est faite pour écarter d’autres supports de l’écriture, il y a livre s’il y a édition (, , p. 4) (). Histoire du livre. Presses universitaires de France [2001]. — nous abordons plus longuement la définition de l’édition par la suiteVoir 2.1. Évolution de l’édition. Pour qu’il y ait diffusion il faut qu’il y ait conservation : le livre est d’abord un système de stockage d’informations. Qu’il s’agisse d’une tablette d’argile, d’une feuille de papier ou d’un disque magnétique, l’information est inscrite, stockée et conservée, pour pouvoir être transmise. Albert Labarre parle aussi d’un objet « maniable », qui différencie le livre d’autres supports trop volumineux pour être déplacés, stockés ou partagés facilement. Enfin, le contenu du livre s’avère être d’abord du texte, une suite de signes constituant un écrit. Il n’est pas possible, aujourd’hui, de réduire le livre à une aporie, le vingtième siècle a par exemple vu surgir des démarches éditoriales très éloignées du texte, que ce soit des livres illustrés, la bande dessinée, les livres d’artistes ou encore des livres (objets) concepts. Nous ne détaillons pas cette liste, mais il faut noter que le concept de livre est d’autant plus difficile à cerner avec ses contenus et ses formes multiples, il en est de même depuis l’émergence du numériqueVoir 3.2. Le livre numérique ou la pensée homothétique.

Le livre serait donc l’ensemble des conditions de circulation de la connaissance, voire de toute information qui nécessite d’être conservée, selon des considérations situées entre le quinzième et le vingtième siècle. Nous n’abordons pas ici le livre manuscrit qui a une histoire longue, nous nous concentrons sur les conditions de fabrication de l’objet imprimé puis numérique. Entre les débuts de l’imprimerie à caractères mobiles et l’émergence d’Internet et du Web, le livre est cet objet imprimé qui permet d’inscrire et de transmettre le savoir, de raconter des histoires, de construire le monde des idées, ou d’enseigner. Ainsi, pendant cette période, les conditions de fixation puis de diffusion de toute connaissance semblent pouvoir être réduites à une suite de spécifications techniques : type de papier, nombre de pages, taille du texte, couleurs des illustrations, type d’impression, poids et dimension de l’objet, etc. Plusieurs de ces paramètres changent considérablement la façon dont l’objet livre est diffusé ou perçu, que ce soit les supports eux-mêmes, ou leurs formes comme nous le voyons dans une section suivanteVoir 1.2. La forme du livre et sa matérialité. Mais ces spécificités dépendent aussi des techniques de production : un livre ne peut évidemment pas être diffusé de la même façon si sa fabrication a été réalisée selon des techniques comme l’impression à caractères mobiles (ou impression typographique), l’impression offset ou plus récemment l’impression numérique. Ces considérations techniques sont à nouveau posées au contact de l’informatique puis du numérique.

Le numérique redéfinit le livre, notamment avec des formes et des formats aussi divers que le PDF, l’EPUB ou la page web, remettant en cause jusqu’à la page — pourtant centrale dans la première définition présentée ci-dessus. C’est ce qu’affirme Roger Chartier dès 1992, alors que l’informatique personnelle émerge et que le Web est encore marginal. Dans L’ordre des livres (, ) (). L’ordre des livres: lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe entre XIVe et XVIIIe siècle. Alinea. il est question de la difficulté de « cerner » le livre. Quelles que soient les époques, Roger Chartier établit que cet objet n’est pas singulier mais pluriel. Au vingt-et-unième siècle une question surgit alors : si le livre n’est plus imprimé mais enregistré sur des espaces de stockage comme des disques durs, est-il encore un livre ? Il faut bien s’accorder sur une nouvelle définition, ne réduisant pas le livre à un seul type d’artefact. Cette production humaine est mouvante, peut-être immuable, mais profondément changeante et reconfigurée à mesure que les dispositifs techniques qui lui donnent vie évoluent eux aussi. La prise en compte du numérique nous oblige à déplacer notre regard. Ainsi les trois fonctions établies par Albert Labarre ne suffisent plus pour circonscrire un objet complexe désormais concerné par les bouleversements induits par le numérique.

[…] the book is a fluid artifact whose form and usage have shifted over time under numerous influences: social, financial, and technological.

(Citation: , , p. xiii) (). The book. The MIT Press.

Amaranth Borsuk propose une définition du livre en distinguant quatre aspects, ou quatre approches par lesquelles le livre peut être défini : l’objet, le contenu, l’idée et l’interface. En ne se focalisant pas sur le texte ou sur la question de l’imprimé, elle donne une définition contemporaine du livre et analyse cet objet complexe tout en prenant en compte le numérique. En proposant ces quatre axes, Amaranth Borsuk décrit certaines fonctions similaires de celles d’Albert Labarre tout en effectuant un décentrement nécessaire : le livre est un support de contenu, un objet qui est une interface de lecture mais aussi une représentation sociale partagée.

Ainsi le livre est d’abord un objet, c’est un support de stockage de données. Si le contenu d’un livre nécessite une forme, l’écriture elle-même et le livre dépendent des choix technologiques liés au support. Cet objet complexe nécessite des processus de conception et de fabrication adaptés au type de contenu, et donc aussi à l’usage qui est fait du livre. Ce contenu a justement fortement évolué depuis l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles : le premier livre publié par Gutenberg est une Bible, suivie par des textes religieux ou théologiques, puis érudits et encyclopédiques, jusqu’à une longue période de textes littéraires de natures diverses. Ensuite le livre est une idée, pour Amaranth Borsuk la représentation sociale du livre est conceptuelle. Cela se vérifie d’autant plus aujourd’hui où un même contenu peut être proposé sous la forme d’un fichier PDF, d’un livre de poche ou d’un grand format imprimé. Si ce qui est inscrit dans le livre est identique quel que soit le format, ce dernier influe sur sa circulation et sur sa perception. Ce média est aussi détourné comme un objet artistique à part entière, devenant une œuvre d’art avec les livres d’artiste débutés au vingtième siècle (, ) (). The century of artists’ books. Granary Books. , notamment grâce à l’amélioration des procédés de fabrication et des expérimentations conjointes entre artistes, éditeurs et éditrices, et imprimeurs. Enfin, le livre est une interface. Pour reprendre les mots d’Amaranth Borsuk, « il est essentiellement une interface par laquelle nous rencontrons des idées » (, , p. 197) (). The book. The MIT Press. . Nous accédons à de l’information via cette interface, que ce livre soit en papier, affiché sur un écran à encre électronique tenu dans la main ou sur un écran d’ordinateur portable.

Définition Livre

Liste des conceptsLe livre est un artefact éditorial clos, il est le résultat d’un travail d’écriture et d’édition, de création ou de réflexion, un objet physique (par exemple imprimé) ou numérique (un fichier ou un flux) maniable voir malléable. Le livre est un concept, il donne lieu à des recherches et des théories spécifiques, il est également un champ d’études lié à l’histoire, la sociologie, les sciences de l’information ou la bibliothéconomie. C’est un objet qui délimite un texte, dont la forme et le format sont pluriels. Il s’agit d’un artefact produit selon des procédés complexes qui évoluent depuis plusieurs siècles. Le livre est une interface, pour reprendre l’expression d’Amaranth Borsuk, c’est un média qui permet d’inscrire et de transmettre des idées. Le livre est un objet technique, son existence même dépend de la façon dont il est conçu, fabriqué, produit et reproduit.

Les quatre axes que développe Amaranth Borsuk dans The Book, accompagnés de nombreux exemples, viennent compléter les fonctions abordées par Pascal Labarre, nous permettant de définir le livre selon ses conditions d’émergence et en prenant en compte ses évolutions. Ce sont justement les évolutions de cet objet technique qui doivent désormais être analysées, depuis les origines de l’impression jusqu’à des formes actuelles dans un contexte où le numérique a une place prépondérante.

#1.1.2. Évolution des procédés techniques de reproduction

Nous explorons ici le lien entre l’histoire du livre et la technique, l’évolution des modes de reproduction imprimée ayant directement influencé les conditions d’existence de la connaissance et de sa diffusion. De l’impression typographique à l’impression à la demande, nous constatons que les procédés de production ont modifié le livre en tant qu’objet mais aussi en tant que concept. Le temps ou le coût nécessaires à l’aboutissement d’un document paginé et relié ont grandement évolué, permettant une diversité d’initiatives éditoriales tant industrielles qu’artisanales.

Qu’est-ce que nous entendons par technique, et plus particulièrement appliquée au livre ? La technique correspond aux procédés nécessaires à la réalisation d’une activité spécifique, en l’occurrence ici l’édition ou la publication, activité que nous divisons en trois étapes : conception, fabrication et production. Définir la conception, la fabrication et la production nous permet d’appréhender la technique dans le champ du livre et de l’édition. La conception du livre est l’étape qui consiste à définir les propriétés de l’objet, ainsi que l’agencement du contenu dans cet objet. La fabrication est la réalisation pratique de cette conception, elle passe par l’invocation de procédés techniques spécifiques en vue d’obtenir un objet. Ce qui résulte de la fabrication est un exemplaire prototype, il permet de définir un modèle pour une production en plus grand nombre. Si les questions de diffusion peuvent être prises en compte dès la conception, elles ne sont réalisées que par la production. La production est le fait de générer un certain nombre d’exemplaires du livre, il s’agit en effet de répondre à un objectif précis de diffusion. Pour arriver à cette fin, différentes méthodes peuvent être utilisées, qui varient notamment en fonction de l’ampleur de la diffusion — par exemple si un grand nombre d’exemplaires doit être produit. La fabrication et la production sont des étapes parfois confondues, nous les différencions pour appuyer une distinction importante : mettre en place les outils nécessaires à la création d’un artefact est différent de produire cet artefact en plusieurs exemplaires de façon répétée et organisée.

Ces trois étapes, bien que distinctes, sont imbriquées : la conception est pensée comme précédant — dans le temps et de façon logique — la fabrication ou la production ; il ne peut pas y avoir de fabrication ou de production sans conception ; enfin, la fabrication est la condition de la production. La fabrication de l’objet livre peut être une forme de preuve de concept, nécessaire avant un passage à une échelle plus large avec la production, néanmoins la fabrication peut se limiter à elle-même, comme choix de ne créer qu’un seul exemplaire d’un livre. La technique, dans le cas du livre et de l’édition, est l’ensemble de ces procédés ainsi que leur organisation et leur relation, en vue d’obtenir un objet, un artefact transmissible et diffusable.

L’impression typographique est une technique de fabrication et de production du livre qui a permis une plus grande et une plus rapide diffusion du livre, il s’agit d’un dispositif technique qui a modifié en profondeur le livre. Au quinzième siècle, Gutenberg — humaniste, inventeur et entrepreneur de son époque — est parvenu à réunir plusieurs facteurs pour donner naissance à l’impression à caractères mobiles en plomb, après d’autres inventions dont il a sans doute eu connaissance ou qui ont été concomitantes.

Though popularly considered the “inventor” of printing, many of the technologies Gutenberg used were already in existence by the time he set up shop. His great achievement lay in bringing these technologies together, perfecting them, and persuading others to fund his vision.

(Citation: , , p. 65) (). The book. The MIT Press.

Si ailleurs des techniques d’impression similaires étaient déjà en place ( & , , p. 171-182) & (). Histoire du livre et de l’édition : production & circulation, formes & mutations. Albin Michel. , la force de l’invention de Gutenberg, en Europe, est surtout d’avoir réuni les éléments nécessaires à cet achèvement et d’être parvenue à convaincre son époque.

Cette technique d’impression peut-elle être considérée comme le déclencheur d’une révolution ? Les bouleversements sociaux, culturels et économiques suscités par la technique d’impression à caractères mobiles sont si importants qu’ils sont souvent considérés comme tels. Nous réfutons cette position pour constater qu’il s’agit d’une évolution longue, cette analyse est nécessaire pour mieux appréhender les changements liés à la technique, faits de nombreux mécanismes imbriqués et non de ruptures nettes. L’imprimerie typographique met par exemple plusieurs dizaines d’années à remplacer le processus de reproduction des livres qui l’a précédée, le système de copie manuelle de manuscrits est alors assuré par un réseau de copistes. L’impression à caractères mobiles accélère inéluctablement et grandement cette faculté de produire de multiples exemplaires d’un même livre. Si le procédé d’impression à caractères mobiles est mécanique, la composition typographique, nécessaire pour former les pages des livres avec l’invention de Gutenberg, est encore un travail manuel. Cette composition typographique est basée sur la typographie — le fait de ne plus dépendre d’un dessin manuel des lettres pour reproduire des textes —, qui elle-même est déjà une forme de mécanisation. Pour Marshall McLuhan il s’agit en effet de « la première mécanisation d’un travail manuel » ( & , , p. 278) & (). La galaxie Gutenberg: la génèse de l’homme typographique. CNRS éditions [2017]. . Cette décomposition du procédé technique d’impression à caractères mobiles permet de comprendre qu’il ne s’agit pas d’un ensemble uniforme mais d’un assemblage d’inventions ayant chacune des répercussions diverses — les prémisses de la mécanisation avec la typographique, et un travail manuel avec la composition typographique.

L’emballement et l’accélération des moyens de production de la connaissance qui suivent l’invention de l’impression typographique ont été étudiés en profondeur, et notamment dans un ouvrage majeur, The Printing Press as an Agent of Change d’Elizabeth Eisenstein. Dans ce travail — une recension importante de l’évolution de la production et de la diffusion du savoir en Europe à partir du quinzième siècle — la chercheuse insiste sur ce qu’elle nomme la « révolution inaperçue » (, , p. 3-42) (). The Printing Press as an Agent of Change: Communications and Cultural Transformations in Early Modern Europe. Cambridge University Press. . Si ce terme de « révolution », déjà initié dans les années 1960 (, ) (). La révolution du livre. Unesco. , est ensuite largement utilisé dans les études du livre et de l’édition à partir des années 1980 ( & , , p. 706-707) & (). Histoire du livre et de l’édition : production & circulation, formes & mutations. Albin Michel. , nous considérons toutefois qu’il est plus pertinent de parler d’évolution. Henri-Jean Martin souligne les nombreuses continuités formelles entre des modes de reproduction manuscrits et typographiques, le titre de son livre avec Louis Febvre marque cette position forte, avec le terme d’« apparition » plutôt que celui de « révolution » ( & , ) & (). L’apparition du livre. Albin Michel [1999]. . Il est bien question d’un glissement, les ruptures étudiées ne sont pas si nettes lorsqu’il s’agit du livre et de ses modes de production, même si l’expression de « révolution industrielle » est utilisée pour qualifier la situation économique globale qui a suivi. Dans le prolongement de cette volonté d’analyser le changement dans les modes de production des livres avec un plus grand recul, Anthony Grafton répond à l’imposant travail d’Elizabeth Eisenstein pour préciser que cette révolution est plutôt une évolution lente sur différents plans (, ) (). The Importance of Being Printed. Journal of Interdisciplinary History, 11(2). 265. https://doi.org/10.2307/203783 . Il souligne notamment le fait que certains points sont injustement amplifiés et ne donnent pas une bonne représentation de la réalité. Par exemple il insiste sur le fait que les lieux d’édition-impression du seizième siècle n’étaient pas des salons de discussion intellectuels, en raison du bruit qui y régnait et de leur saleté, ou encore que ces dispositifs de production n’ont pas immédiatement changé les modes d’écriture des auteurs et des autrices. La production du savoir a été profondément modifiée par l’invention technique de l’impression typographique, qui introduit une mécanisation avec la typographie et permet d’entrevoir une industrialisation en cours, à laquelle le livre et l’édition ont participé.

Bien après l’impression typographique de Gutenberg, des procédés mécaniques puis industriels accélèrent encore la production de livres et élargissent sa diffusion, bouleversant l’organisation des structures d’édition. Des procédés à la fois manuels et mécaniques sont utilisés jusqu’au début du vingtième siècle, tous inspirés de la presse typographique, le processus consistant à encrer une composition typographique puis à la presser contre une feuille de papier. Plusieurs éléments sont mécanisés, d’abord l’étape de l’encrage avec l’utilisation d’une rotative — alimentée par la vapeur —, il ne s’agit plus d’imprimer feuille par feuille mais une bande de papier continu. C’est le domaine de la presse écrite — à comprendre ici comme les journaux imprimés — qui a profondément accéléré l’évolution de ces techniques. Ensuite l’étape de la composition est elle aussi mécanisée, avec la création de la Linotype puis de la Monotype. Ces deux inventions ont en commun de rassembler au sein d’une même machine des étapes longues et laborieuses jusqu’ici effectuées manuellement dans un atelier : le remplissage d’une casse à la main nécessitant plusieurs personnes et plusieurs corps de métiers. L’image d’Épinal des débuts de l’imprimerie est ainsi déconstruite, et l’organisation des espaces de production du livre est modifiée : les phases de composition (conception et fabrication) et de production sont désormais séparées.

Ces processus mécaniques évoluent pour réduire le temps d’impression, pour produire plus rapidement un plus grand nombre d’exemplaires. Avec la première révolution industrielle une nouvelle organisation se met en place, organisation centrée sur la capacité à produire plus et plus vite. De cela ne dépendent pas que les progrès techniques d’impression, mais aussi la matière première pour produire des livres ou des documents imprimés. Ainsi pendant le dix-neuvième siècle la tension économique concerne toute la chaîne de production, y compris le papier. Albert Labarre souligne à ce titre les relations entre les techniques d’impression et les techniques de fabrication du papier : « l’abondance du papier était inutile si la presse n’était pas améliorée, et réciproquement » (, , p. 105) (). Histoire du livre. Presses universitaires de France [2001]. . L’industrialisation du livre est une industrialisation globale, permise par des moyens techniques qui évoluent constamment et qui modifie d’abord l’organisation et les métiers nécessaires à la production des livres.

Parmi les techniques d’impression, l’offset est déterminante quant aux enjeux économiques de production, de diffusion et de vente du livre. Apparue au vingtième siècle, la technique d’impression offset permet de produire facilement un plus grand nombre d’exemplaires, avec une qualité d’impression élevée. Ce procédé consiste à transférer indirectement de l’encre sur du papier via un système de rouleaux (, , p. 87-96) (). L’imprimerie. Presses Universitaires de France. , procédé hérité de la lithographie — une technique artisanale utilisée à partir du dix-huitième siècle.

Figure 1.. Illustration d’une presse offset extraite de l’ouvrage de Gérard Martin

Utilisée dès le début du vingtième siècle, cette technique est améliorée continuellement, notamment pour s’adapter à la photocomposition puis au numérique. L’impression offset est encore utilisée au vingt-et-unième siècle, désormais presque exclusivement avec une préparation via l’informatique, permettant de gagner du temps sur la gravure des plaques des rouleaux. Cette technique d’impression offre une grande qualité et un coût de production assez bas pour tout tirage dépassant un certain nombre d’exemplaires — le temps de réglage des machines est amorti dès 500 exemplaires environ. Par exemple pour un objet éditorial classique, comme un livre imprimé en quadrichomie, et dont le nombre d’exemplaires dépasse le millier, alors l’impression offset est un choix plus judicieux qu’une impression numérique. La majorité des livres sont produits de cette façon entre la deuxième moitié du vingtième siècle et le début du vingt-et-unième siècle. Cette technique d’impression a une influence sur le livre via la contrainte du nombre d’exemplaires, les structures d’édition devant prévoir des tirages relativement importants pour réduire les coûts — ce qui peut sembler contradictoire. La production du livre est alors désormais étalonnée sur ce procédé technique.

À la suite de l’impression typographique, des procédés mécaniques d’impression et de composition, puis de l’offset, le numérique est un nouvel élément qui vient encore modifier les processus de production du livre, et plus particulièrement avec l’impression numérique et l’impression à la demande. L’impression numérique est une technique d’impression plus légère que l’offset puisqu’elle nécessite des machines beaucoup plus petites et plus rapides à régler, utilisant le plus souvent le procédé de jet d’encre — comme les imprimantes dites de bureau. Au début des années 2010 il est possible d’obtenir une qualité équivalente à celle de l’impression offset, remettant ainsi en cause le principe du tirage. Cela permet à des livres d’exister en étant produits en quelques dizaines ou centaines d’exemplaires seulement, tout en ayant des caractéristiques communes avec ceux imprimés en offset. Cela va plus loin puisqu’il devient également possible d’imprimer en un seul exemplaire tout en disposant de frais d’impression acceptable. Si le coût d’un exemplaire est plus important qu’avec l’offset, il n’est en revanche plus nécessaire d’investir dans un tirage et de gérer le stockage.

L’impression à la demande consiste à imprimer un livre (couverture et intérieur compris) en un seul exemplaire à partir d’un fichier numérique, cet objet paginé étant ensuite acheminé à la librairie ou à la personne qui l’a commandé. Avec l’impression à la demande un livre est produit en quelques minutes, et il peut ensuite être livré en quelques jours. Des plateformes spécialisées dans cette technique de production sont déployées sur des points stratégiques dans le monde afin de pouvoir livrer rapidement les documents imprimés. Les implications d’un tel changement sont importantes, principalement sur la question de l’investissement nécessaire pour publier un livre, mais concernant aussi la rapidité pour obtenir un premier exemplaire, ou encore la limitation ou l’absence de stockage. L’impression à la demande est également une occasion de réimprimer voire de rééditer des livres avec une pression économique moins importante. Il est même possible d’imprimer des exemplaires uniques d’un même livre, et ainsi d’ajouter des informations personnalisées — comme un code unique de téléchargement vers un fichier informatique — dans le livre imprimé. L’impression à la demande ne vient pas se substituer à la technique de l’offset, mais elle convient à des démarches spécifiques. Citons-en deux diamétralement opposées sur le plan économique : l’édition artisanale et la réédition de livres épuisés. Dans un cas l’objectif est de faciliter l’impression du livre et l’existence même d’un texte, sans dépendre du système de tirage, tout en étant capable de diffuser rapidement des exemplaires, comme nous le voyons dans l’étude de cas qui suitVoir 1.3. Éditer autrement : le cas de Busy Doing Nothing. Dans l’autre, le recours à l’impression à la demande vise la réduction du coût d’investissement tout en continuant de diffuser un titre déjà connu et qui a un intérêt financier sur le long terme — exploitant ainsi le phénomène dit de longue traîne (, & al., ) , & (). The long tail. Les éditions logiques. à moindre coût. L’impression à la demande est donc une opportunité de reconsidérer la manière dont des livres peuvent être produits, et donc leur condition même d’existence.

Ce panorama des techniques d’impression nous permet de comprendre combien le livre a évolué avec l’arrivée de nouveaux modes de production. La définition du livre dépend de ces différents changements techniques, changements qui ont permis son apparition et ses transformations. Faire exister un livre au dix-huitième siècle ou aujourd’hui diffère totalement, tant sur les investissements économiques que les technologies nécessaires à la réalisation de tout projet éditorial, avec des potentialités de diffusion très diverses. L’accélération des modes de production de l’objet livre — dont la diffusion dépend — a permis l’existence d’un nombre d’œuvres plus important au fil des siècles. La multiplication des initiatives éditoriales a suscité des inventions techniques donnant lieu à de nouveaux modes d’accès à la production du livre. Deux livres nous permettent de prolonger notre définition du livre et illustrent les enjeux de production et de diffusion.

#1.1.3. 101 définitions du livre

The Book (, ) (). The book. The MIT Press. et The Book: 101 Definitions (, ) Borsuk, A. (dir.). (). The Book: 101 Definitions. Anteism. sont deux ouvrages dédiés à la définition du livre, publiés en 2018 et en 2020 et respectivement écrits et édités par Amaranth Borsuk, professeure associée à l’Université de Washington. Il s’agit d’un essai critique publié aux presses du MIT et d’un recueil de définitions du livre publié chez Anteism Books. Ces deux ouvrages, pris ensemble, constituent une démarche qui illustre et qui questionne ce qu’est un livre en tant qu’objet et en tant que concept. En effet le choix des procédés techniques pour leur fabrication, leur production et leur diffusion ont une implication sur la réception de ces textes. Étudier les contenus et les modes de production de The Book et de The Book: 101 Definitions est également une occasion de montrer comment deux artefacts éditoriaux peuvent dialoguer, voire se répondre, dans des espaces différents.

L’objectif de cette double entreprise critique et artistique réalisée par Amaranth Borsuk est de donner des définitions actuelles du livre avec une approche formelle et contemporaine, et avec un appui historique non négligeable — sans pour autant être le centre de cette démarche. Les deux objets sont probablement le reflet du profil d’Amaranth Borsuk, une universitaire qui est aussi une artiste, dont le travail porte sur l’imprimé autant que le numérique, et dont la recherche se mêle à la création.

Figure 1.. Photographie des pages 114 et 115 du livre The Book d’Amaranth Borsuk

Amaranth Borsuk propose, avec The Book, un travail de recherche important dans un paysage pourtant saturé d’études sur le livre — comme l’atteste la bibliographie déjà très sélective. Les études du livre sont devenues, depuis la deuxième moitié du vingtième siècle, un champ à part entière avec des contributions importantes, provenant d’abord majoritairement des historiennes et des historiens, puis des médiologues. Par exemple les récents ouvrages D’encre et de papier : une histoire du livre imprimé (, & al., ) , & (). D’encre et de papier: une histoire du livre imprimé. Imprimerie nationale éditions / Actes Sud. et Histoire du livre et de l’édition ( & , ) & (). Histoire du livre et de l’édition : production & circulation, formes & mutations. Albin Michel. se situent du côté historique, contrairement à The Book qui lui se place du côté des études des médias. Malgré cette surabondance dans ce champ, le livre d’Amaranth Borsuk trouve toute sa place dans ce paysage en tant qu’essai critique. L’ouvrage est divisé en quatre parties, les quatre approches possibles et complémentaires du livre que nous avons déjà abordées : le livre comme objet, le livre comme contenu, le livre comme idée, et le livre comme interface.

Figure 1.. Photographie de la couverture du livre The Book: 101 Definitions

The Book: 101 Definitions est quant à lui un recueil de 101 définitions proposées par différentes personnalités : autrices, auteurs, artistes et universitaires. Ce deuxième ouvrage propose un décentrement à travers des définitions très diverses, inédites, et qui ne constituent pas un travail académique. Voici quelques exemples de définitions :

Books are the matter of writing in solid form. [Derek Beaulieu]

A book is an object that vibrates upon contact. [Danielle Vogel]

Le livre est un support matériel qui, tout au long de son histoire, a offert toujours plus de manipulabilité à son lecteur. Avec le numérique, ce n’est plus seulement le support, mais le contenu lui-même qui est manipulable.
Le support numérique s’inscrit ainsi dans une continuité. Néanmoins, on peut parler de passage à la limite dans la mesure où toute la médiation est calculée ; avec le support numérique, tout devient manipulable. [Serge Bouchardon]

(Citation: , , p. 10, 96, 18) Borsuk, A. (dir.). (). The Book: 101 Definitions. Anteism.

Les deux objets forment une même initiative éditoriale. La rédaction de The Book (l’essai publié aux presses du MIT) s’est faite en même temps que la recension d’un certain nombre de définitions du livre auprès d’auteurs, d’autrices, d’artistes et d’universitaires qu’Amaranth Borsuk a contacté. Le site webhttps://t-h-e-b-o-o-k.com « Essential Knowledge: The Book » est un compagnon vivant du livre The Book, clos par définition. Cet objet numérique réunit ainsi des définitions subjectives qui viennent compléter le travail critique et peut-être plus objectif du livre publié aux presses du MIT. Les 101 citations du site web ont donc été reprises dans The Book: 101 Definitions (le deuxième livre), comme une version figée et imprimée. Ces 101 citations ne se retrouvent pas dans The Book, même si ce dernier rassemble également des définitions : des textes dont est dédiée à chaque fois une pleine page, 30 au total. Il s’agit de citations extraites d’ouvrages, académiques pour la plupart, et donnant un autre éclairage au texte ; elles servent aussi de repères dans le livre avec leur fond noir reconnaissable.

Ces deux livres se distinguent également par la forme et les moyens de production invoqués pour les produire. The Book est imprimé en noir et blanc au format poche de 127 par 177,8mm, avec une couverture souple répondant aux codes de la collection The MIT Press Essential Knowledge Series. Le livre est également disponible en versions numériques aux formats PDF et EPUB. The Book: 101 Definitions est imprimé en risographie, en monochrome (bleu) pour l’intérieur et en bichromie (bleu et vert) pour la couverture, avec un tirage initial de 350 exemplaires et un format poche légèrement plus long de 127 par 188mm. Le premier est d’allure classique, avec une couverture sombre et une typographie discrète ; il s’agit d’un manuel ou d’un essai qui peut facilement être emporté et consulté. Le second a un aspect plus original, avec les deux rectangles superposés sur la couverture propre à la collection « Documents » de la maison d’édition Anteism ; la typographie est élégante et le papier est de meilleure qualité. L’utilisation de l’encre de couleur bleue pour les pages intérieures intrigue et attire le regard. Le rendu final donne une impression de fabrication et de production artisanales, sentiment décuplé avec le tirage limité à 350 exemplaires. Les codes graphiques et physiques respectifs répondent aux contraintes des collections dans lesquels ces livres sont publiés. Les techniques d’impression diffèrent fortement entre les deux objets, invitant à deux types d’approches et de lectures. Les modes de production donnent à voir deux textes distincts.

La forme a une importance prépondérante, elle traduit deux démarches éditoriales différentes. Les presses du MIT disposent d’une reconnaissance et d’une diffusion très larges, donnant une légitimité presque immédiate à l’ouvrage — les nombreuses recensions et critiques du livre en sont d’ailleurs un signe. Le réseau de diffusion/distribution d’Anteism est en revanche très différent. Cette maison d’édition s’inscrit dans le domaine des arts, avec des objets qui se rapprochent du livre d’artiste, souvent en édition limitée. Nous avons d’ailleurs découvert 101 Definitions lors d’un salon du livre à Montréal, c’est l’objet physique qui a d’abord été identifié, et à ce titre la couverture et la facture générale de l’objet ont joué un rôle important.

Figure 1.. Photographie des pages 18 et 19 du livre The Book: 101 Definitions
Figure 1.. Photographie des pages 66 et 67 du livre The Book: 101 Definitions

Le site web est d’abord pensé comme un compagnon du livre publié aux presses du MIT en 2018, les citations ne font pas partie du livre imprimé et permettent une autre approche de ce travail critique — en l’occurrence des points de vue plus subjectifs, complémentaires d’une recherche scientifique. Les citations répertoriées sur cet espace numérique ont été plus nombreuses avant le travail de sélection de l’autrice, les identifiants visibles dans le code source du site web allant jusqu’à plus de 450. Ce travail de recension puis de sélection a ensuite pris la forme d’un livre imprimé en 2021, soit trois ans après le livre publié aux presses du MIT. La co-existence des deux livres imprimés propose en soi une vision du livre plurielle, avec un effet additionnel des définitions qui se croisent et se superposent. The Book et The Book: 101 Definitions jouent sur les codes du livre et sur ses possibles réceptions. Comme le souligne Olivier Deloignon, une démarche éditoriale peut osciller entre norme et contre-norme (, & al., , p. x) , & (). D’encre et de papier: une histoire du livre imprimé. Imprimerie nationale éditions / Actes Sud. , nous en avons la preuve ici.

L’histoire longue du livre nous permet d’appréhender ses différentes acceptions et conceptualisations, ou tout du moins certaines d’entre elles, tant les approches sont nombreuses et plurielles. Les fonctions définies par Albert Lamarre, complétées et augmentées par les axes décris et conceptualisés par Amaranth Borsuk, permettent de disposer d’une définition contemporaine du livreLivre Le livre est un artefact éditorial clos, il est le résultat d’un travail d’écriture et d’édition, de création ou de réflexion, un objet physique (par exemple imprimé) ou numérique …
Voir chapitre 1 — Liste des concepts
, qui prend en compte ses conditions de conception, de fabrication, de production et de diffusion. Utiliser l’histoire du livre pour aborder une évolution des techniques nous a permis d’analyser les processus de production du livre et l’influence sur les façons de rendre disponible des textes. Enfin l’analyse du double travail éditorial autour des livres d’Amaranth Borsuk confirme l’enjeu des modes de production pour la diffusion d’un livre. Pour prolonger cette question nous détaillons la forme du livre.

2.

#1.2. La forme du livre et sa matérialité
</>Commit : 07f3e07
Source : https://src.quaternum.net/t/tree/main/item/content/p/01/01-02.md

Après avoir établi une définition du livre en prenant en considération ses modes de production, nous posons la question de la matérialité du livre. Le fond de notre propos est de réfuter toute dualité, soit l’opposition entre contenant et contenu, et de constater à quel point les modes de fabrication et de production sont liés au contenu même des livres. Dit autrement, les textes et leur mise en livre sont imbriqués.

Il est nécessaire de distinguer objet et forme, pour différencier ce qui relève de la production et de la fabrication. La définition de la forme, nécessaire pour obtenir ensuite un objet, est réalisée au moment de la fabrication, soit le moment charnière entre la conception et la production, moment où les choix techniques sont effectués en lien direct avec le contenu des textes à mettre en livre. Nous considérons que l’objet livre est le résultat d’une production, donc d’une action répétée en vue de diffuser un support de connaissance. Dans le cas du livre, l’objet produit a donc une forme issue d’une fabrication.

Pour comprendre l’impossibilité de séparer totalement contenant et contenu, nous explorons tout d’abord les formes du livre. Les considérations matérielles ont en effet directement contribué à constituer le livre, en tant que forme, objet puis concept. Des formes nouvelles ou émergentes ont permis des évolutions majeures dans le champ de la littérature au sens large. Pour expliciter notre argumentation nous développons justement cette idée avec le cas de la littérature, et ainsi expliciter combien la forme du livre, l’incarnation, l’objet, est liée autant au texte qu’à sa diffusion, à sa commercialisation ou à sa lecture. Nous avons déjà abordé les questions des contraintes pour la production des objets imprimés avec les procédés d’impression, nous étudions maintenant les contraintes qui interviennent lors de la fabricaton des formes. Enfin, deux formes littéraires retiennent notre attention en tant qu’exemples originaux et radicaux.

#1.2.1. Le livre et ses formes

Une forme est la qualité d’un objet, autrement dit sa structure, son agencement. Il s’agit principalement des caractéristiques physiques, perceptibles, qui permettent de distinguer cet objet, de le reconnaître, de l’identifier. L’objet livre se traduit ainsi par une forme, et même des formes, multiples. Que ce soient des types de papier et des dimensions pour le livre imprimé, ou des formats de fichiers et des modes de lecture pour le livre numérique. Ces choix résultent d’une politique éditoriale, mais ils reflètent aussi le contenu même du livre. Le livre, en tant que support et objet produit, se confond avec son contenu.

[…] the terme book commonly refers interchangeably to both medium and content, regardless of our acculturation to the codex.

(Citation: , , p. xi) (). The book. The MIT Press.

Nous observons combien l’évolution des formes du livre imprimé nous conduit à affirmer que le livre constitue un tout, comprenant le contenu autant que la forme, qu’il n’est pas possible de les distinguer.

La tablette, le volumen puis le codex sont des supports dont l’histoire est autant technique que politique ( & , , p. 35-50) & (). Histoire du livre et de l’édition : production & circulation, formes & mutations. Albin Michel. , et qui ont une grande influence sur la manière de faire circuler le savoir. Les premiers supports de l’écrit, en Europe, ont été des tablettes d’argile puis des rouleaux aussi appelés volumen. Le système de pages reliées n’a pas été la première forme du livre, d’autres supports ont été longtemps utilisés pour enregistrer et transmettre du texte. La disposition en rouleau (à déroulement latéral) du volumen est directement lié au matériau utilisé pour écrire, en l’occurrence des feuilles de papyrus. L’usage massif du papyrus pour écrire s’explique par l’abondance de cette matière première, dont les propriétés physiques ne lui permettent toutefois pas d’être pliée. En roulant le papyrus il est possible de stocker facilement des grandes quantités d’informations, le volumen est ainsi la principale forme du livre jusqu’au cinquième siècle. Ces premières formes du livre imposent donc une façon d’écrire, de stocker des documents et de les lire.

Le codex est un événement majeur dans l’histoire du livre, bien avant l’apparition de l’impression à caractères mobiles. Le codex est un support paginé fait de pages qui se superposent et s’enchaînent, il apparaît au deuxième siècle avant notre ère pour répondre à la nécessité de disposer d’un dispositif de stockage et de lecture plus maniable. Si une forme de codex, faite de tablettes en argile reliées, précède le volumen et continue d’être utilisée pour des usages administratifs ( & , , p. 43-44) & (). Histoire du livre et de l’édition : production & circulation, formes & mutations. Albin Michel. , il s’impose grâce à l’apparition de matériaux désormais pliables comme le parchemin — contrairement au papyrus qui se brise. Avec le livre paginé, le texte ne se déroule plus il se consulte de pages en pages. Avec cette « liasse de pages cousues ensemble » ( & , , p. 156) & (). La forme du livre. Dans Une histoire de la lecture. (pp. 155–181). Actes Sud. le livre peut être manipulé plus facilement contrairement au volumen, tenir à plat sans devoir utiliser ses deux mains, et au bon endroit en ouvrant le livre à la page souhaitée.

Les livres s’affirment grâce à leurs titres, leurs auteurs, leurs places dans un catalogue ou une bibliothèque, leurs illustrations de couvertures. Par leur taille aussi. […] Je juge un livre à sa couverture ; je juge un livre à sa forme.

(Citation: & , , p. 155) & (). La forme du livre. Dans Une histoire de la lecture. (pp. 155–181). Actes Sud.

Dans « La forme du livre » Alberto Manguel décrit l’évolution des formes du livre depuis l’invention de l’imprimerie à caractères mobiles en Europe, jusqu’à la fin du vingtième siècle, pointant la relation forte entre les pratiques d’édition et de lecture et les techniques de fabrication et de production. Ce chapitre adopte une approche historique, retraçant l’apparition successive de différentes formes du livre à travers l’histoire de la civilisation. Depuis les tablettes mésopotamiennes du douzième siècle avant notre ère jusqu’aux livres imprimés du vingtième siècle, Alberto Manguel établit un riche panorama des formes du livre. L’auteur souligne à plusieurs reprises la cohabitation simultanée de plusieurs formes. En effet le codex n’a pas immédiatement supplanté le volumen, ce dernier ayant tout de même fini par disparaître presque totalementLe volumen est encore utilisé dans certaines cultures, nous pouvons par exemple citer le cas de la Torah.. Nous pouvons encore constater aujourd’hui la co-existence voire la complémentarité de certains supports ou formes spécifiques, par exemple avec le cas emblématique du livre imprimé et du livre numérique : l’un accompagne ou légitime l’autre, leur relation d’interdépendance est liée aux usages autant qu’aux formes. Les évolutions des formes, évolutions qui sont parfois des transitions, se font sur un temps long de plusieurs dizaines d’années voir de siècles, et cette temporalité est importante à prendre en compte dans un contexte d’accélération depuis la moitié du dix-neuvième siècle. Dans les nombreux exemples donnés par Alberto Manguel, nous retrouvons un motif récurrent qui consiste en plusieurs phases successives : 1. dans un premier temps des besoins — transport, dispositions de lecture, stratégies économiques — déclenchent des nouvelles expérimentations de forme, ces preuves de concept sont possibles grâce à de nouvelles techniques de fabrication du livre ; 2. l’amélioration de ces techniques permet de multiplier leur occurrence, ce qui engendre de nouveaux usages, usages qui s’imposeront ou non ; 3. dès l’apparition de la figure de l’éditeur, les expérimentations formelles sont aussi des recherches de maximisation des profits via la vente d’objets livre. Alberto Manguel donne deux exemples qui illustrent ce phénomène : les éditions d’Alde Manuce et le livre de poche.

Avec Alde Manuce, le texte prend le pas sur l’objet. La priorité est la mise en avant du texte et sa lisibilité, et non plus l’aspect raffiné ou luxueux de l’objet comme c’est majoritairement le cas à la fin du quinzième et au début du seizième siècles. Plutôt qu’une « décoration précieuse » il privilégie « clarté et érudition » ( & , , p. 169) & (). La forme du livre. Dans Une histoire de la lecture. (pp. 155–181). Actes Sud. . Le besoin de faire circuler des textes et de les utiliser comme support d’un enseignement pousse Alde Manuce à créer des petits formats qui tiennent dans la poche. Le deuxième exemple prolonge le premier, puisqu’il s’agit des premiers livres de poche des éditions Penguin au milieu des années 1930. L’éditeur Allen Lane entreprend de rendre le livre plus petit, plus maniable, meilleur marché pour l’éditeur et le lecteur, et plus commun.

Pourquoi ne pourrait-on pas traiter les livres comme des objets quotidiens, aussi nécessaires et aussi disponibles que des chaussettes ou du thé ?

(Citation: & , , p. 177) & (). La forme du livre. Dans Une histoire de la lecture. (pp. 155–181). Actes Sud.

Allen Lane parvient à convaincre la maison d’édition de créer une collection pour accueillir différents textes de littérature, ouvrant un marché nouveau : des titres classiques ou contemporains proposés à des publics jusqu’ici relativement éloignés du livre. Des recherches typographiques, alors menées par le typographe Jan Tschichold, permettent de faire exister une évolution moderne des livres d’Alde Manuce — cette fois en littérature générale — Jan Tschichold rapporte d’ailleurs certaines de ses recherches dans Livre et typographie ( & , ) & (). Livre et typographie: essais choisis. Éditions Allia. . Les livres de Penguin deviennent un cas emblématique d’évolution de la forme du livre au service d’une démarche éditoriale et de la recherche d’un profit plus important. Dans les deux cas la valeur symbolique du livre évolue, le texte prévaut en grande partie sur l’objet final, via un travail sur la forme.

Cet enjeu de la relation entre l’objet (produit) et les formes (fabriquées) est également abordé par Amaranth Borsuk dans The Book (, , p. 1-60) (). The book. The MIT Press. , avec des constats similaires : l’évolution des formes de l’objet livre se fait au rythme des besoins, des nouveaux usages, des inventions techniques et de leur adoption. Si des formes émergentes en supplantent d’autres, un phénomène de cohabitation est également observé. L’un des enjeux fondamentaux consiste à relever des défis techniques pour fabriquer de nouvelles formes et produire des objets en grand nombre. La conclusion qu’Amaranth Borsuk partage avec Alberto Manguel est bien résumée par Jan Tschichold :

Détruire un usage ancien n’a toutefois de sens, et l’innovation n’aura de durée, que si cela correspond à une nécessité et se révèle meilleur que l’ancienne façon de faire.

(Citation: & , , p. 111) & (). Livre et typographie: essais choisis. Éditions Allia.

Les formes les plus expérimentales ou les plus inhabituelles sont vouées à rester marginales voire à disparaître, mais elles peuvent participer à une évolution plus large du livre comme c’est le cas du livre de poche. Certaines formes non conventionnelles, par exemple un très grand format ou des choix graphiques à la limite de la lisibilité, sont parfois réinterprétées pour être réintégrées dans des objets produits en très grande quantité — notamment par des grandes maisons d’édition. Ces dernières n’auraient pas pris le risque de générer de telles originalités, mais en constatant que des livres de structures éditoriales plus expérimentales sont reconnus et validés par des communautés, elles répliquent ces nouveaux modèles à plus grande échelle. Cet élément est fondamental pour comprendre les évolutions de formes à l’œuvre pour le livre, ou de façon plus générale pour la littérature.

#1.2.2. La littérature et ses formes (matérielles)

Afin de démontrer que la forme du livre est interreliée au texte et que le livre constitue ainsi un tout, nous analysons un cas où une dualité est encore parfois entretenue, la littérature. Notre argumentation se base sur l’analyse de deux ouvrages à l’originalité formelle : L’Utopie de Thomas More et de House of Leaves de Mark Z. Danielewski.

Le livre et plus globalement la littérature a pu être idéalisée — ou l’est encore — comme quelque chose d’abstrait, exemptes des conditions techniques, économiques ou sociales permettant pourtant son existence. Pierre Bourdieu critique cette vision de la littérature dans l’avant-propos de son ouvrage Les règles de l’art (, , p. 9-16) (). Les règles de l’art: genèse et structure du champ littéraire. Éditions du Seuil. , lorsqu’il fustige celles et ceux qui considèrent que la littérature est un art trop « ineffable » pour être étudiée.

En réalité, comprendre la genèse sociale du champ littéraire, de la croyance qui le soutient, du jeu de langage qui s’y joue, des intérêts et des enjeux matériels ou symboliques qui s’y engendrent, ce n’est pas sacrifier au plaisir de réduire ou de détruire […]. C’est tout simplement regarder les choses en face et les voir comme elles sont.

(Citation: , , p. 16) (). Les règles de l’art: genèse et structure du champ littéraire. Éditions du Seuil.

Robin de Mourat souligne aussi la difficulté plus globale d’appréhender une matérialité du livre, et détaille la dualité kantienne liée au domaine juridique avec la figure de l’auteur, ou les recherches historiques de Roger Chartier sur cette question (, , p. 129-131) (). Le vacillement des formats : matérialité, écriture et enquête : le design des publications en Sciences Humaines et Sociales. Thèse de doctorat, Université Rennes 2. Consulté à l’adresse https://theses.hal.science/tel-03052597 . Nous considérons une matérialité de la littérature à travers son premier support, le livre. Dit autrement, le livre est l’une des composantes des conjonctures médiatrices de la littérature, pour reprendre une expression de Jean-Marc Larrue et Marcello Vitali-Rosati ( & , ) & (). Media do not exist. Institute of Network Cultures. . La littérature, à travers le livre, est un écosystème et une infrastructure. Ainsi avec le livre vient toute une chaîne qui permet l’existence et l’accès à la littérature : les conditions d’apparition du texte ; la conception et la fabrication des formes du livre ; les possibilités de production et de diffusion de l’objet imprimé ; la circulation du livre dans des espaces économiques marchands et non marchands ; etc. La littérature dépend du support et de sa forme.

Jean-François Vallée analyse les différences entre plusieurs éditions de L’Utopie de Thomas More dans un article intitulé « Le livre utopique » (, ) (). Le livre utopique. Mémoires du livre / Studies in Book Culture, 4(2). https://doi.org/10.7202/1016737ar , et démontre ainsi la relation entre le texte et sa forme. Jean-François Vallée questionne les disparitions de certaines parties du livre dans des éditions plus modernes de cet ouvrage. Ces disparitions sont le résultat d’initiatives éditoriales qui n’ont pas considéré certains éléments comme faisant partie intégrante du livre de Thomas More, comme les cartes, les marginalia ou les textes provenant d’autres mains.

[…] les éditions originales de L’Utopie semblent conçues pour créer sur et autour de leurs pages imprimées une chorégraphie textuelle et iconographique dont la rhétorique paradoxale, la structure éditoriale et typographique sophistiquée, ainsi que les nombreux niveaux de dialogues, ont pour but avoué de littéralement transformer l’« ami lecteur » qui a osé poser le pied – ou l’œil – sur ce territoire livresque proprement utopique.

(Citation: , , p. 21) (). Le livre utopique. Mémoires du livre / Studies in Book Culture, 4(2). https://doi.org/10.7202/1016737ar

La forme des éditions originales comporte énormément de notes en marge, mais aussi des documents complémentaires dont Thomas More c’est pas l’auteur. Ces éléments constituent un dialogue interne au livre et donnent à lire et à découvrir des subtilités difficiles à comprendre sans elles.

Figure 1.. Extrait de l’édition Froben (1518) de L’Utopie de Thomas More utilisé par Jean-François Vallée : carte de l’île d’Utopie (d’Ambroise Holbein) et l’alphabet utopien (de Pierre Gilles)

En Europe la structure du livre s’est plus fortement normalisée durant les siècles qui ont suivi l’apparition de l’impression à caractères mobiles. Il s’agit alors de relever un défi technique : réussir à composer des pages avec de multiples niveaux d’information. Un livre comme L’Utopie, utopiste aussi dans sa forme, constitue une difficulté pour des démarches d’édition qui se standardisent, la forme de ce livre ne ressemble pas aux autres.

Le deuxième exemple est un livre plus contemporain. House of leaves est un roman singulier de Mark Z. Danielewski publié en 2000 chez Pantheon Books et dont la forme originale en fait un objet littéraire singulier. Ce roman est une succession de strates narratives avec une maison comme centre, maison dont l’intérieur est en expansion. L’objet imprimé présente plusieurs particularités comme des mises en page originales (la composition du texte change en fonction du récit), la présence importante de notes, des paratextes internes ou encore l’utilisation de codes couleur.

Figure 1.. Page 132 du livre de House of Leaves de Mark Z. Danielewski

L’« entrelacs de voix narratives » (, , p. 215-217) (). Le texte et la technique: la lecture à l’heure des médias numériques. Le Quartanier. est autant visible dans le récit que dans la mise en page. Pour que l’histoire puisse être appréhendée totalement il est nécessaire que la forme soit originale et complexe.

La disposition du texte sur la page fait l’objet d’un travail minutieux : le livre n’est plus un support neutre que le lecteur peut oublier mais se rappelle à lui à tout moment, en bousculant ses habitudes de réception, voire en empêchant la lecture.

(Citation: , ) (). Le livre décomposé. Sens public(2021). https://doi.org/10.7202/1089659ar

Le livre déborde aussi sur d’autres supports comme des espaces en ligne (forum ou blogs), à moins que ce ne soient ces espaces qui influencent le livre (imprimé) lui-même. Quoi qu’il en soit ce livre ne respecte pas les normes de l’édition en termes de structure et de mise en page.

Ces deux ouvrages donnent à voir des formes singulières et un bouleversement des exigences habituelles pour faire livre et pour faire littérature. Les auteurs de ces deux textes, et de ces deux livres, Thomas More et Mark Z. Danielewski, ont dû penser, avec la structure d’édition, une forme pour que leur œuvre littéraire existe et puisse être reçue. Sans ce contournement des exigences, sans le fait de repenser des contraintes que nous analysons par la suite, ces deux textes n’auraient pas été compris dans leur entièreté. Ces deux analyses ne prennent pas en compte le cheminement éditorial amenant à ces artefacts, c’est ce que nous faisons dans le chapitre suivant dédié à l’éditionVoir 2. L’édition : un acte technique.

#1.2.3. Des contraintes et des formes

Les formes originales du livre — et de la littérature — présentées ci-dessus sont le résultat d’un travail autour du texte et de ses particularités, mais aussi la compréhension et l’intégration d’un certain nombre de contraintes techniques inhérentes au livre et à ses métiers. Le livre est un objet dont la forme est fabriquée en jouant avec ces contraintes. Parmi elles nous pouvons considérer la façon dont le texte est découpé et agencé, les dimensions de l’objet imprimé, le choix du papier ou encore les outils à disposition pour composer le texte et les pages. Ce ne sont que quelques exemples des nombreux paramètres et des exigences dans le processus de fabrication puis de production du livre. Ces contraintes conditionnent la forme du livre, mais s’en défaire peut aussi être une opportunité d’engager de nouvelles formes.

Explicitons quelques-unes de ces exigences pour comprendre de quoi dépendent ces formes du livre, et donc ce qui façonne la littérature. Il ne s’agit pas d’un exercice exhaustif, il n’y a pas non plus d’ordre particulier ici, que ce soit en termes d’importance ou de linéarité dans le processus d’édition ou de fabrication. Par exemple la dimension d’un livre imprimé est à la fois une disposition de lecture et un cadre pour le texte, c’est autant l’interface qui permet de lire que le rythme du texte qui sont ici concernés. Autre exemple : le type de papier utilisé pour un livre imprimé va jouer sur l’épaisseur du livre, mais aussi sur l’interface de lecture que constituent les pages reliées. Enfin, les logiciels doivent être connus et maîtrisés, aujourd’hui il semble a priori complexe de ne pas savoir utiliser un logiciel de publication assistée par ordinateur comme InDesign. Explorons plus en détail quelques-unes de ces exigences.

Le livre peut faire l’objet de multiples agencements, le texte et les autres contenus étant structurés d’une manière précise pour répondre à des codes ou les détourner. Il peut s’agir d’un découpage en parties ou en chapitres, des notes peuvent être présentes en bas des pages ou dans les marges, une répartition particulière peut être adoptée entre du texte et des images, dans tous ces cas l’enjeu est de permettre une compréhension globale ou précise en fonction du contenu initial. Par exemple un essai sans ponctuation n’est pas accepté comme un texte lisible, en revanche la poésie détourne ces normes en faisant un usage intentionnel de règles ou en les brisant. Un nombre trop important de notes de bas de page dans un roman peut venir en perturber la lecture, voire modifier profondément la compréhension de ce type de littérature — est-ce alors autre chose qu’un roman ? Certaines normes sont plus implicites, comme le fait de ne pas disposer trop de paratexte sur chaque page au risque de réduire la zone du texte principal. Dans ce cas le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle fait par exemple figure de livre non conventionnel avec ses très nombreuses gloses autour d’un texte finalement assez réduit, mais ce sont ces éléments qui font l’intérêt de cet ouvrage qui rompt les codes majoritaires. La constitution de formes du livre, qu’elles soient originales ou non, est une négociation continue de ces règles.

Le papier a été et est encore un enjeu central du livre imprimé, une contrainte complexe tant en termes de qualité, d’impression, ou de durabilité. Que ce soit pour la fabrication puis la production (pas de codex sans un papier qui peut se plier), pour le transport (un papier épais implique des livres qui prennent plus de place), pour le prix (un papier de bonne qualité est souvent plus coûteux et fait un livre plus cher) ou pour la conservation (quel est le pH de ce papier ? est-il compatible avec la colle utilisée pour la reliure ?), le papier contraint toutes les étapes de réalisation d’un livre, ainsi que sa réception et sa durée de vie. Par exemple le livre de poche des années 1950 en Europe, avec son papier bon marché et son dos collé, n’est pas un objet qui peut être conservé — il n’a d’ailleurs pas été conçu pour cela. Avec le papier vient également la question du format de l’objet, depuis les éditions d’Alde Manuce il est entendu que le livre doit être un objet commensurable, à moins de cas très particuliers — comme des ouvrages originaux en littérature jeunesse ou des livres d’artistes. Des monstres livresques de plusieurs milliers de pages sont-ils encore des livres ? Impossible pour une librairie de trouver une place pour plusieurs de ces objets aux côtés de livres de quelques centimètres d’épaisseur, en revanche s’il n’y en a qu’un sur les tables d’une librairie il se fait remarquer.

Parmi les contraintes qui conditionnent la forme du livre, il y a également les outils nécessaires à la conception et à la fabrication. Si nous avons déjà abordé la question des procédés techniques pour la productionVoir 1.1. Le livre : fonctions, concept et modes de production, aujourd’hui les logiciels utilisés pour composer le texte, gérer les relations entre les différents éléments structurels d’un livre, ou encore calibrer les images et leurs couleurs, participent également de la constitution de formes spécifiques. La littérature, au sens large, dépend donc aussi des outils informatiques indispensables à sa formalisation. InDesign, après QuarkXPress des années 1980 jusqu’au début des années 2000, est la principale solution logicielle pour composer et mettre en forme des textes destinés à être imprimés — voir même aussi pour le livre numérique. Sans une maîtrise de ces outils et les coûts associés aux licences d’utilisation, difficile de produire des livres. Nous détaillons plus loin les implications de l’usage du logicielVoir 5.2. Contre le logiciel : pour des processus décomposés et ouverts, nous retenons que son choix est économique (coût et dépendance), politique (capacités d’émancipation) et social (inscription dans une communauté).

Ce que nous qualifions de contraintes participe à cette matérialité du livre, il n’est pas possible de s’abstraire totalement des limites techniques, des règles à l’œuvre ou des cadres imposés par des outils. Ces exigences constituent nécessairement le livre, qu’elles soient appliquées ou détournées. Pour prolonger et confirmer notre entreprise de définition du livre, en tant que forme, objet et concept, nous détaillons désormais un projet éditorial dans sa globalité.

3.

#1.3. Éditer autrement : le cas de Busy Doing Nothing
</>Commit : 63dfd2e
Source : https://src.quaternum.net/t/tree/main/item/content/p/01/01-03.md

Quelles peuvent être les caractéristiques d’un livre d’aujourd’hui ? Le duo Hundred Rabbits répond à cette question avec une aventure éditoriale qui illustre la définition d’un livre, en adoptant une démarche originale et en utilisant des procédés techniques actuels. Si le résultat est un livre imprimé qui semble classique en tant qu’objet, il interroge les processus de fabrication et de production, il remet en cause des principes de légitimité éditoriale, et il dévoile également les liens qui existent entre plusieurs artefacts d’un même projet éditorial. En dédiant une étude de cas à l’ouvrage Busy Doing Nothing, nous prolongeons la définition du livre en tant que concept, et nous observons combien son évolution est liée à celles des avancées techniques et technologiques.

In 2020, we completed our circumnavigation of The Pacific Ocean.
The last passage from Japan (Shimoda) to Canada (Victoria) took 51 days, and it was the hardest thing we’ve ever done.

(Citation: & , ) & (). Busy Doing Nothing. Hundred Rabbits.

#1.3.1. Un journal de bord édité

Busy Doing Nothing ( & , ) & (). Busy Doing Nothing. Hundred Rabbits. est un livre écrit et édité par Rekka Bellum et Devine Lu Linvega en 2020 pour les versions numériques et 2021 pour la version imprimée : il s’agit du journal de bord de leur traversée en bateau de l’océan Pacifique entre le Japon et le Canada entre juin et juillet 2020 pendant 51 jours. D’abord écrit dans un carnet manuscrit, ce journal de bord a été transcrit sur le site web de Hundred Rabbits — le nom du duo que forme les deux auteurs — en 2020 (, ) (). north pacific logbook. Consulté à l’adresse https://100r.co/site/north_pacific_logbook.html puis édité sous forme de livre numérique aux formats EPUB et PDF en février 2021. Ces deux dernières versions comportent des ajouts significatifs : des corrections et des ajustements importants dans le texte, des illustrations supplémentaires, et une section avec des contenus additionnels — concernant la nourriture stockée sur le bateau et plusieurs recettes. En décembre 2021 une édition imprimée est proposée, comportant les mêmes contenus que les versions PDF et EPUB. Ce livre existe ainsi sous deux versions différentes et quatre formats. Une version originale, ou non éditée : une page web (, ) (). north pacific logbook. Consulté à l’adresse https://100r.co/site/north_pacific_logbook.html comportant la transcription du journal de bord avec quelques photos du voyage et du carnet manuscrit (pour les illustrations). Une version augmentée en un texte original corrigé et augmenté, avec des contenus supplémentaires : au format EPUB : un livre numérique pour des liseuses à encre électronique ; au format PDF : un livre numérique paginé pour tout type de dispositif informatique ; enfin au format imprimé : un livre imprimé vendu via la plateforme d’impression à la demande Lulu.com.

Figure 1.. Photographie de la couverture de l’édition imprimée du livre Busy Doing Nothing
Figure 1.. Photographie des pages intérieures 45 et 46 de l’édition imprimée du livre Busy Doing Nothing

La version imprimée est un livre au format A5 et au dos collé d’environ 250 pages. Trois sections constituent le texte : une introduction, le journal de bord avec une conclusion, des contenus additionnels avec la liste des mets conservés sur le bateau et des recettes. La version EPUB conserve la même structure.

Ce projet éditorial a une autre spécificité : les sources de la version augmentée sont disponibles en tant que code sur un dépôt Git sur la plateforme SourceHut (, ) (). North Pacific Logbook. Hundredrabbits. Consulté à l’adresse https://git.sr.ht/~rabbits/busydoingnothing , accessible librement. L’objectif de cette mise à disposition des sources est de montrer comment le livre est fabriqué, de permettre à qui le souhaite de reconstruire le livre, mais aussi de recueillir des contributions si des erreurs sont détectées par les lecteurs et les lectrices.

#1.3.2. Une démarche originale

Il faut expliquer ici la démarche globale de Rekka Bellum et Devine Lu Linvega, qui constituent le collectif Hundred Rabbits, ainsi que le processus d’édition. Rekka Bellumhttps://kokorobot.ca/site/rek.html se définit comme écrivain et dessinateur, et Devine Lu Linvegahttps://wiki.xxiivv.com/site/devine_lu_linvega.html comme développeur, artiste et musicien. Le duo vit sur un bateau de 10 mètres de long, et a adopté un mode de vie et de création adapté à cette contrainte : peu d’énergie disponible ; nécessité de pouvoir travailler pendant plusieurs jours ou semaines sans connexion internet ; sélectionner ou créer des outils résistants ; être autonomes vis-à-vis des plateformes centralisées pour développer, diffuser et sauvegarder leurs créations. Ce mode de vie est radical, dans le sens où il est complet et total. Les créations — programmes et contenus — créés par Hundred Rabbits sont le reflet de ces choix, elles donnent à voir un positionnement écologique, politique ou éthique. Le livre Busy Doing Nothing participe aussi de cette démarche de constituer un environnement dédié à la création tout en respectant ce mode de vie.

We founded Hundred Rabbits with the goal of building a platform that could enable us to dedicate our time to the creation of free & open-source software such as Grimgrains (http://grimgrains.com) and orca (https://100r.co/site/orca.html), as well as contribute to the open-source projects of others.

(Citation: , ) (). mission. Consulté à l’adresse https://100r.co/site/mission.html

Le duo adopte un positionnement politique global en faveur de la maîtrise de leur environnement de création et de l’ouverture, en s’engageant dans des communautés autour du logiciel libre ou open source — à la fois à travers le développement de leurs projets personnels et aussi en contribuant à d’autres initiatives. Cela pose la question de la soutenabilité économique d’une telle démarche, les modalités de ce que nous pourrions qualifier de modèle économique sont décrites par la suite.

Le livre a été conçu en deux phases distinctes : la transcription du journal manuscrit sur le site web, puis l’édition de ce texte et la production des artefacts correspondants. La page web présentant la transcription a été écrite directement au format HTML, ce document est versionné dans un dépôt Git sur la plateforme GitHubhttps://github.com/hundredrabbits/100r.co/blob/main/site/north_pacific_logbook.html, ce qui permet de naviguer dans l’historique des modifications voire de proposer des corrections. L’aspect formel de cette version HTML est simple, les entrées du journal sont représentées sous forme de cellules d’un grand tableau. Après cette page web, les deux formats numériques EPUB et PDF ont été produits simultanément, avec une approche sensiblement différente. Une même source, un fichier au format Markdown, est à l’origine des deux fichiers. L’édition a donc été réalisée dans cet espace de balises légères, et versionné avec Git : le dépôt GitHub nous apprend qu’il y a eu 77 commits entre décembre 2020 et novembre 2021 (, ) (). North Pacific Logbook. Hundredrabbits. Consulté à l’adresse https://git.sr.ht/~rabbits/busydoingnothing . La conversion de la source vers les formats EPUB et PDF est réalisée avec Pandoc, un convertisseur de langages de balisage que nous décrivons plus longuement par la suiteVoir 4.4. Le single source publishing comme acte éditorial sémantique, ainsi que (Xe)LaTeXVoir 3.3. Éditer avec le numérique : le cas d’Ekdosis pour la production du PDF, et Calibre pour la conversion du fichier EPUB au format MOBI — un format proche de l’EPUB mais pour les liseuses Kindle d’Amazon. La version PDF téléchargeable en ligne — commercialisée, voir plus loin — est la même que la version imprimée disponible sur la plateforme Lulu.com. Le format PDF pour la version imprimée suit le même processus de production. Les versions numériques sont produites selon les principes du single source publishing, soit le fait de produire plusieurs artefacts à partir d’une source uniqueVoir 4.4. Le single source publishing comme acte éditorial sémantique. Une correction dans le fichier source est donc reportée dans tous les fichiers de sortie.

Les outils de fabrication choisis pour ce travail éditorial sont à l’image de la démarche globale du collectif Hundred Rabbits, simples, maîtrisés, dépouillés, résilients. L’affirmation « Go slow and fix things » se retrouve sur plusieurs des sites et plateformes des deux artistes. Le collectif Hundred Rabbits n’utilise pas les logiciels habituels, tels que des logiciels de publication assistée par ordinateur comme InDesign, préférant maîtriser les différents programmes nécessaires à la fabrication et — en partie — à la production des différents artefacts. Lors d’une conférence en novembre 2022 Devine explique ce positionnement par rapport aux outils en général et à l’informatique en particulier :

As a disclaimer, all that I am writing now is very naive. I draw, and I make music, when I started doing research I didn’t have the vocabulary to find what I was looking for. I didn’t know what virtual machines were, I didn’t know what compilers were either. I had a vague idea of what programming was. I had written Swift and Objective C, but had no conception of how it actually tied to processors. It seemed like I was learning a service, the same way I was learning “To Photoshop”. It wasn’t like learning a skill, you don’t learn to draw when you use Photoshop, you learn how to operate within the confines of someone else’s playground, and when that rug is pulled from underneath you, there’s nothing you can say or do, and you never really understood how it worked in the first place so you can’t really replicate it.

(Citation: , ) (). Weathering Software Winter. Consulté à l’adresse https://100r.co/site/weathering_software_winter.html

Hundred Rabbits opère un changement de paradigme en refusant de recourir à des « services » et en construisant la majorité des outils utiles à leurs créations, ou en tout cas en acquérant une maîtrise des logiciels et des programmes dûment sélectionnés. Les efforts nécessaires pour parvenir à ce degré d’autonomie sont importants, et nous pouvons noter ici que cela implique au moins des compétences spécifiques, un temps dédié à l’apprentissage des différentes briques technologiques, et une curiosité considérable. Ces éléments sont compatibles avec le mode de vie adopté par le duo, et semblent difficilement envisageables dans le cas d’une structure classique — comme une maison d’édition.

Ce livre est auto-édité, ce sont en effet les mêmes personnes qui écrivent, éditent et diffusent l’ouvrage dans ses différentes formes. Les versions numériques sont vendues via la plateforme Itch.io, et la version imprimée via la plateforme Lulu.com, mais la publication ainsi que la diffusion dépendent entièrement de Rekka Bellum et de Devine Lu Linvega. Cette démarche autonome repose sur plusieurs prérequis : le duo dispose d’une communauté active qui suit leurs activités via différents canaux ; Hundred Rabbits dispose de ses propres outils de communication comme son site web, sa lettre d’information ou une présence sur des réseaux sociaux (principalement le réseau fédéré Mastodon en 2023) ; et ils sont présents sur Patreon, plateforme de financement sur laquelle plus de 200 personnes contribuent financièrement à leurs projets (avec ou sans contrepartie). L’option de l’auto-édition, dans ce contexte, se comprend amplement : Hundred Rabbits dispose des outils de diffusion et de communication pour que le livre puisse être connu et acheté, et il n’y a pas de volonté de leur part d’intégrer les circuits classiques du livre — en accord avec leur position politique déjà évoquée. Hundred Rabbits est en soi déjà une structure d’édition, certes plus habituée au jeu vidéo qu’au livre, mais qui a construit sa légitimité depuis plusieurs années. Cette légitimité est une légitimité au-dessus pour reprendre la catégorisation d’Emmanuel Cardon (, ) (). À quoi rêvent les algorithmes: nos vies à l’heure des big data. Seuil. , puisqu’elle est construite avec des communautés identifiées qui permettent au collectif Hundred Rabbits d’être reconnu, de faire autoritéCe terme lui-même ne serait pas reconnu comme légitime par le collectif, tant les deux artistes construisent ou contribuent à des communautés qui ne reposent pas sur des principes verticaux.. Pour prendre la mesure de cette légitimité nous pouvons observer trois facteurs quantitatifs : le nombre de personnes abonnées aux comptes Mastodon de Devine Lu Linvega (11 400 en novembre 2023) et de Rekka Bellum (4 700 en novembre 2023), le nombre de personnes qui contribuent à leur Patreon (460 en novembre 2023, pour un revenu total de 1621 $CAD par mois au même moment), et le nombre de personnes abonnées à leur profil Itch.io (plateforme sur laquelle ils mettent à disposition la majorité de leur création). La démarche d’indépendance se comprend mieux en prenant en compte l’activité première du collectif, en effet le domaine du jeu vidéo est habitué depuis longtemps à se constituer autant en grandes structures qu’en petits îlots indépendants. Il y a ici une influence, voire une transposition, des pratiques dans le domaine du jeu vidéo indépendant, voir du développement de logiciels libres, vers l’édition.

#1.3.3. Est-ce un livre ?

Ce livre est-il un livre ? Nous posons cette question en raison de l’originalité de la démarche, comparée à des pratiques d’édition plus classiques. Ce livre semble répondre, de façon formelle, à la définition que nous avons établie : un artefact éditorial clos, résultat d’un travail d’écriture et d’édition, de création ou de réflexion, un objet physique (par exemple imprimé) ou numérique (un fichier ou un flux) maniable voire malléable. Ces artefacts ne présentent pas de spécificités particulières, si ce n’est le goût de la simplicité, autant dans les versions/formats papier ou numérique, et disposent de formes classiques. Pourtant le livre se situe à la marge des espaces de publication majoritaires : il ne contient pas d’ISBN, il n’est référencé dans aucune base de données de librairies, aucun catalogue de bibliothèque, et non plus sur des plateformes du type Amazon. Ce livre n’est identifiable que via les canaux de communication de Hundred Rabbits, ou très bien référencé sur la plateforme Itch.io. Autant dire que l’objet éditorial se démarque des initiatives habituelles par son affirmation d’être diffusé autrement.

Nous constatons que Hundred Rabbits n’a tout simplement pas besoin de référencer ailleurs ce livre (et ses artefacts). D’une part parce que le domaine du livre est probablement un écosystème moins connu des deux protagonistes et que l’investir serait particulièrement chronophage, mais aussi parce qu’il est question de choix politique et de cohérence. Rekka Bellum et Devine Lu Linvega adoptent des pratiques totalement imbriquées dans des principes de création, voire de vie. Le choix éditorial, fort, comprend autant ces questions de diffusion que les outils utilisés pour fabriquer puis produire le livre. Diffuser soi-même un texte participe d’un même élan, élan créatif — qui peut aussi être qualifié de littéraire —, qui consiste également à refuser certains codes, notamment le fait de devoir être référencé en librairie, ou encore un fonctionnement basé sur un mode de rentabilité. Hundred Rabbits construit d’autres conditions pour fabriquer et diffuser des livres.

Busy Doing Nothing est un livre d’aujourd’hui. Il porte la trace de sa fabrication, de l’intention éditoriale comme nous l’analysons dans un prochain chapitreVoir 2.2. L’acte, le dispositif et l’action. Si nous considérons les quatre artefacts que sont la page web, le fichier EPUB, le fichier PDF et le livre imprimé, nous pouvons comprendre comment ce livre a été pensé, quel a été l’acte éditorial de Rekka Bellum et de Devine Lu Linvega. Le concept du livre, jusqu’ici considéré comme objet dans un écosystème, doit être confronté à un autre concept, plus proche des questions de fabrication et de technique : l’artefact.

4.

#1.4. L’artefact : entre production, fabrication et technique
</>Commit : 1ac73c3
Source : https://src.quaternum.net/t/tree/main/item/content/p/01/01-04.md

Notre définition du livre le comprend, jusqu’ici, en tant que concept, en tant qu’objet qui nécessite des procédés techniques pour être produit, ainsi qu’en tant que forme inséparable de son contenu. Le livre est aussi un artefact, un objet créé via un processus défini, et qui conserve l’empreinte de ce processus. Considérer le livre comme un artefact c’est affirmer qu’il n’est pas seulement un support, une forme issue d’une fabrication, ou un objet résultant d’une production, mais qu’il porte également l’ensemble des procédés techniques nécessaires à son émergence et à son existence. Le livre est le résultat d’une action humaine, culturelle. Le concept d’artefact, dont l’origine latine signifie « fait avec art », permet d’identifier le livre à travers sa dimension processuelle de forme fabriquée, et d’objet produit. Envisager le livre comme artefact et non plus uniquement le livre comme support, forme et objet, c’est observer quelles sont les façons de faire à l’origine du livre, comment le sens est créé. Le concept d’artefact nous permet d’inclure, dans le livre, ses conditions techniques d’existence.

Nous définissons tout d’abord le terme et le concept d’artefact, avec sa pluralité étymologique. Le concept d’artefact est technique, nous relevons plusieurs positionnements théoriques par rapport à cette dimension, nous amenant à examiner plus précisément ce que nous nommons fabrication. Enfin, qu’en est-il du livre en tant qu’artefact ?

#1.4.1. Artefact : des définitions convergentes, un concept

Un objet fabriqué.

(Citation: , , p. 205) (). L’identité. Flammarion.

Les définitions du terme artefactArtefact est aussi écrit « artéfact », nous considérons ici les deux formes comme équivalentes. convergent vers plusieurs points essentiels : un artefact est un objet inerte, il est le résultat d’une action humaine (y compris accidentelle), il est artificiel, et il est issu d’un processus technique. Si le terme porte une certaine polysémie, dû au fait qu’il est utilisé de façons diverses (mais pas forcément opposées) selon les domaines, c’est plus particulièrement sa relation avec la technique qui nous intéresse. Nous écartons la signification de parasite dont le terme est l’objet en électronique, sans pour autant abandonner la question de l’accident qui ouvre des perspectives pertinentes.

  1. Structure ou phénomène d’origine artificielle ou accidentelle qui altère une expérience ou un examen portant sur un phénomène naturel.
  2. Altération du résultat d’un examen due au procédé technique utilisé.
  3. En anthropologie, produit ayant subi une transformation, même minime, par l’homme, et qui se distingue ainsi d’un autre provoqué par un phénomène naturel.

(Citation: S.A., ) (S.A.). (). artéfact. Larousse. Consulté à l’adresse https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/artefact/5512

Nous insistons sur deux dimensions du terme : il s’agit d’un résultat et il y a une transformation (ou altération). Un artefact est quelque chose qui se manifeste à nous et que nous pouvons observer, il est le résultat d’une création. La notion de transformation permet de comprendre que cette création est une série d’actions, actions qui ont été prédéterminées et agencées dans un contexte spécifique. L’artefact est la finalisation d’un processus complexe, la partie visible d’une suite de plusieurs opérations.

Le terme artefact n’a pas la même acception selon les champs d’étude, dans la discipline des sciences de l’information et de la communication. Philippe Quinton apporte une information jusqu’ici absente des différentes définitions et qui nous semble déterminante :

des artefacts […] sont des produits de l’activité humaine autant que des moyens d’action sur le monde.
[…]
Les artefacts sont ainsi des manifestations spécifiques de l’action de l’homme et de ses transformations du monde.

(Citation: , ) (). L’artefact : un objet du faire. Les Enjeux de l'information et de la communication, 2(8). Consulté à l’adresse https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2007/supplement-a/19-lartefact-un-objet-du-faire

Voilà un point particulièrement important lorsque nous prenons en compte le livre et ce qu’il exprime dans nos sociétés. Le livre est à la fois un artefact en tant que forme ou objet produit par l’humain — et plus spécifiquement un artefact engendré grâce à d’autres artefacts comme des outils, du papier ou des machines — et en même temps le livre agit sur le monde et sur nous en tant que moyen d’action.

Le terme artefact est un concept. Il contient en effet plusieurs notions complexes, il soulève des questionnements profonds, il fait aussi l’objet de nombreux écrits et recherchesCitons notamment la revue Artefact. Techniques, histoire et sciences humaines « destinée à promouvoir les recherches sur la technique, entre processus d’intellection et matérialité des pratiques dans les sociétés humaines sur la longue durée et dans une perspective globale » (https://journals.openedition.org/artefact/267)., directes ou indirectes, et enfin il est utilisé comme fondement de systèmes de pensée. L’artefact est, dans notre cas, un concept qui vient compléter celui du livre pour construire une réflexion sur les processus de fabrication du livre ou plus globalement des textes.

#1.4.2. Un concept technique ?

Le concept d’artefact nous permet donc de définir le livre en prenant en compte les processus nécessaires à sa fabrication et à sa production. Le livre est un objet qui requiert un ou des processus techniques, nous étudions désormais cette relation entre artefact et technique.

Autrement dit, l’artefact serait l’aspect « visible » d’un dispositif sociotechnique dont il est indissociable.

(Citation: , ) (). Objet technique (artefact, instrument, machine, dispositif). Dans Bouchard, F., Doray, P. & Prud'homme, J. (dir.), Sciences, technologies et sociétés de A à Z. (pp. 165–168). Presses de l’Université de Montréal.

L’artefact serait donc la partie apparente d’un dispositif sociotechnique ou, dit autrement, le résultat d’un processus technique. Définir la technique est un prérequis indispensable, même s’il pose un défi dans une perspective de concision.

[…] « la technique » consiste en l’activité au moyen de laquelle le vivant compose et transforme son milieu.

(Citation: , & al., , p. 9) , & (). Technique, technologie : mots, concepts, catégories. Artefact. Techniques, histoire et sciences humaines(15). 7–14. https://doi.org/10.4000/artefact.11173

Loin d’être suffisante, cette définition contemporaine nous donne à voir des dimensions d’action, de transformation et d’agencement, propres à l’activité humaine. La technique produit quelque chose, elle est souvent considérée comme le pendant matériel de la vie sociale — nous réfutons toutefois ce dualisme, la vie sociale est tout autant matérielle. Notons une des racines grecques du terme, τέχνη, techné, qui intègre la dimension de production. Il faut également ajouter que la technique est elle-même en relation avec les notions d’économie ou de valeur, et aussi qu’il y a des techniques. Enfin, la technique ne doit pas être confondue avec la technologie, qui est l’étude des techniques. Étudier la technique consiste à se concentrer sur la façon de faire plutôt que sur la finalité visée. Nous nous plaçons justement dans ce cadre.

Deux penseurs ont établi une description claire de l’artefact dans un contexte technique, dont plusieurs éléments nous permettent de comprendre sa relation spécifique avec le livre. Gilbert Simondon et Herbert Simon se sont investis dans l’étude de la technique avec une intensité comparable mais avec des positionnements théoriques différents. Joëlle Forest détaille les « apports de l’approche simonienne » dans un article qui présente également les spécificités de l’approche simondienne (, ) (). Artefact, les apports de l’approche simonienne. Les Enjeux de l'information et de la communication, 2(8). Consulté à l’adresse https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2007/supplement-a/10-artefact-les-apports-de-lapproche-simonienne/ . Nous retenons ici plusieurs éléments pour définir plus précisément le rapport entre artefact et technique ou, dit autrement, qu’est-ce qu’un artefact. Gilbert Simondon est en quelque sorte un pionnier de la technique, son projet est de mieux la comprendre pour considérer qu’elle est constitutive du monde dans lequel nous agissons. Dans un entretien de 1968, soit dix ans après l’écriture de sa thèse Du mode d’existence des objets techniques, il déclare : « Nous vivons dans une civilisation qui […] est mal technicienne » (S.A., ) (S.A.). (). Gilbert Simondon Entretien sur la mécanologie [complet] 1968 (R1: Bobine 1 de 3). Consulté à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=VLkjI8U5PoQ . Herbert Simon publie ses écrits sur la technique plus tard, proposant une approche différente voire opposée, très certainement influencée par ses domaines que sont la sociologie et l’économie.

Gilbert Simondon considère l’artefact, ou l’objet technique — les deux expressions sont synonymes —, en soit, observant son évolution, sa filiation. Le philosophe développe une ontologie complexe autour de l’objet technique, avec des qualificatifs d’abstrait pour l’état artificiel et de concret pour l’état naturalisé. Herbert Simon ne définit pas l’artificiel de la même façon, il est clairement fonctionnaliste. Chaque objet technique est conçu pour remplir une fonction, et il faut donc se concentrer sur le processus plus que sur l’artefact lui-même.

Pour Simon, l’artefact désigne plus que l’objet technique abstrait.

(Citation: , ) (). Artefact, les apports de l’approche simonienne. Les Enjeux de l'information et de la communication, 2(8). Consulté à l’adresse https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2007/supplement-a/10-artefact-les-apports-de-lapproche-simonienne/

Pour résumer les deux positionnements, la pensée de Gilbert Simondon constitue un darwinisme de la technique, les objets techniques portent leur condition d’existence, ils révèlent des processus. Herbert Simon opère un « décentrement » pour reprendre un terme de Joëlle Forest, puisqu’il s’agit désormais d’observer l’amont de l’artefact plutôt que l’objet technique lui-même. Le mode de pensée simondien est radical, les objets ne peuvent pas être que des productions humaines devant remplir des fonctions. Les artefacts pensent, pourrions-nous dire. Nous retenons de Herbert Simon la prise en compte d’un processus au-delà de la lignée technique de l’objet lui-même. L’approche fonctionnaliste d’Hubert Simon pose toutefois un problème pour notre analyse, puisqu’elle concentre l’intérêt sur la conception, considérant cette seule étape comme constitutive du processus technique à l’origine de l’artefact. Examiner les conditions d’existence, et donc non uniquement de conception, est primordial pour expliquer la constitution de l’artefact, et plus spécifiquement du livre dans notre cas.

Qu’en est-il alors du livre ? Cet artefact technique doit être apprécié autant comme portant la filiation d’autres objets technique que comme le point de départ d’une analyse de ses modes de conception, et surtout de fabrication et de production.

#1.4.3. Du côté de la fabrication

Nous l’avons déjà dit, l’artefact résulte d’un processus technique, c’est-à-dire un procédé de fabrication (réalisation d’un artefact via des procédés techniques) ou de production (actions répétés des procédés techniques pour générer plusieurs artefacts en vue de les diffuser). Nous devons ici définir plus précisément le terme de fabrication :

Faire, réaliser (un objet), une chose applicable à un usage déterminé, à partir d’une ou plusieurs matières données, par un travail manuel ou artisanal.

(Citation: , ) (). Fabrication. Consulté à l’adresse https://www.cnrtl.fr/definition/fabrication

La fabrication est l’action de fabriquer, de réaliser un objet pour un usage déterminé, pour reprendre les termes de cette définition. Le terme porte aussi la dimension de transformation, notamment dans le domaine industriel où il s’agit de transformer des matières premières. Transformer, réaliser : ces actions ne sont possibles qu’à condition de formuler des besoins, de définir le passage d’un état à un autre. Dans le cas de l’artefact cela signifie décrire un premier état puis un second. Ces règles de transformation peuvent être départagées en plusieurs sous-étapes, et constituer ainsi un processus complexe.

Le travail « manuel ou artisanal » s’oppose à une démarche dite industrielle, celle-ci adopte des procédés mécaniques ou automatisés pour produire des objets en grand nombre et dans une perspective de profit(s) économique(s). Le livre est d’abord issu d’une fabrication en cela que ses métiers sont historiquement artisanaux, il est toutefois incontestable qu’à partir des premières techniques d’impression mécanisées le livre est désormais produit et qu’il dispose d’une industrie. Notons par ailleurs l’expression « industrie du livre » qui définit les activités de production, de diffusion et de commercialisation du livre, à mettre en lien avec l’expression « chaîne du livre ». Si aujourd’hui toute publication reconnue légalement comme un livre — via le dépôt légal par exemple en France ou au Québec — fait partie de cette chaîne du livre, et si la très grande majorité des livres est issue d’une industrie, des structures d’édition n’appliquent pour autant pas une automatisation à toutes les étapes du travail éditorial. Ainsi, d’une part la fabrication consiste en une étape nécessaire à toute pratique d’édition — quand bien même une automatisation serait ensuite à l’œuvre —, et d’autre part des initiatives éditoriales se réclament plus spécifiquement d’une fabrication en raison de l’adoption de moyens techniques qui ne font pas appel à des processus totalement mécanisés ou automatisés.

La fabrication est une action qui révèle des intentions et des façons de faire. Plusieurs scénarios sont possibles pour une même réalisation, ainsi une intention peut être implémentée de diverses manières ; ces implémentations sont ces façons de faire. Elles doivent être elles aussi observées, en tant que la trace du geste ou de l’acte d’édition, liées directement aux dispositifs techniques nécessaires pour les réaliser.

#1.4.4. Livre et artefact

Le terme artefact est associé au livre dans des écrits récents sur le livre numérique, que ce soit des articles ou des thèses, en raison de ce dévoilement permis par le code source de ces objets. Le livre d’Amaranth Borsuk, The Book, compte 18 occurrences parmi les 322 pages (, ) (). The book. The MIT Press.  ; la thèse de Nolwenn Tréhondart intitulée Le livre numérique enrichi : conception, modélisations de pratiques, réception comprend quelque 119 occurrences du terme parmi les 416 pages (, ) (). Le livre numérique enrichi : conception, modélisations de pratiques, réception. Thèse de doctorat, Université Paris 8 - Saint-Denis. Consulté à l’adresse https://hal.science/tel-03189497  ; l’introduction du dossier consacré aux éditions numériques dans la revue Sciences du Design (numéro 8) a 5 occurrences tout au long du texte de 5 pages (, & al., ) , & (). Devenirs numériques de l’édition. Sciences du Design, no 8(2). 27–33. https://doi.org/10.3917/sdd.008.0027 . L’association du terme artefact à celui de livre n’est pas nouvelle, mais le numérique accentue ce besoin de relever autant la nature de l’objet — artificiel — que le processus qui l’engendre. L’analyse de tels objets — fichiers EPUB, applications ou sites web — est facilitée par l’accès à leur code source, lui-même témoin des moyens techniques utilisés pour les fabriquer ou les produire. Le livre numérique est aussi un objet fabriqué par l’homme, quand bien même les environnements numériques peuvent laisser penser qu’il n’y a que des flux. Les serveurs qui stockent et donnent accès aux fichiers des livres numériques, ainsi que les dispositifs de lecture numérique, sont autant matériels que conçus par des humains.

Le concept d’artefact est utile pour définir le livre, pour considérer que le livre porte les conditions de sa fabrication, qu’il est le reflet sinon le révélateur des façons de faire, des façons d’éditer. En lieu et place du terme livre nous pouvons donc utiliser l’expression « artefact éditorial ».

Définition Artefact éditorial

Liste des conceptsLe livre est un artefact, le résultat d’un processus technique complexe dont il conserve certaines traces qui sont autant des marques des choix techniques que des énonciations — pour reprendre la théorie de l’énonciation éditoriale d’Emmanuël Souchier. Le livre est un artefact éditorial, il porte ses conditions d’existence, il les révèle si nous lui consacrons une analyse théorique et pratique, et si nous acceptons de remettre en cause notre rapport à la technique comme nous y invite Gilbert Simondon.

L’utilisation de cette expression marque la nécessité de prendre en compte non plus seulement le résultat mais aussi et surtout le processus et ses conditions d’émergence.

5.

#1.5. Les Ateliers de [sens public] : repenser le livre
</>Commit : 8053125
Source : https://src.quaternum.net/t/tree/main/item/content/p/01/01-05.md

Pour illustrer la relation entre les concepts de livre et d’artefact, et pour épuiser l’expression d’« artefact éditorial », nous présentons en détail un livre édité par les Ateliers de [sens public], Exigeons de meilleures bibliothèques de R. David Lankes. Cette étude de cas permet de comprendre la dimension artefactuelle du livre dans un contexte précis, de définir à nouveau ce qu’est un livre à travers une initiative originale, et enfin de faire le pont vers la question de la définition de l’édition, à la suite de celle du livre.

Notre implication dans les projets de cette structure d’édition — qui a précisément démarré avec ce livre — doit être soulignée, car elle revêt un intérêt particulier. Comme expliqué dans l’introductionVoir 0.3. Imbriquer recherches théoriques et expérimentations, présenter des expérimentations auxquelles l’auteur de cette thèse a participé permet de relever de nombreuses problématiques difficiles à appréhender autrement. Cette étude de cas, comme les quatre autres qui ponctuent les chapitres qui suivent, ne se veut pas objective mais une démarche extime qui entend confronter les théories jusqu’ici présentées, afin de les épuiser dans un cas pratique tout en apportant un regard critique nécessaire.

#1.5.1. Une structure collégiale

Les Ateliers de [sens public]Aussi appelés « Ateliers » par la suite. sont nés du besoin de faire exister des textes ailleurs que dans la revue Sens public, de transformer des articles en monographie, de donner un nouvel éclat à des recherches et de créer une conversation. Entre 2018, l’année de sa création, et le printemps 2023, la structure a publié 6 textes aux contenus et aux formats variés.

Le principe de la collection est de proposer une forme de publication multiple en accès libre sur des sujets divers en sciences humaines et sociales qui correspondent aux orientations éditoriales de la revue [Sens public (Arts et lettres, Histoire, Monde numérique, Philosophie, Politique et société, Sciences et environnement)].

(Citation: , & al., ) , & (). À propos. Consulté à l’adresse https://ateliers.sens-public.org

Entre le fork (nouvelle embranchement à partir d’une source commune) et le spin off (projet dérivé), les Ateliers de [sens public] partagent plusieurs points communs avec la revue Sens public : les sciences humaines et la philosophie, la question du numérique, la littérature en creux, la création d’un espace pour des collectifs, la question de la conversation, etc. Et aussi, et surtout, la question de l’accès ouvert puisque les livres des Ateliers sont tous accessibles en libre accès, sans restriction. Le libre accès est une façon d’appréhender et de diffuser la connaissance, et l’organisation même de la structure est en adéquation avec ce désir et cet acte d’ouverture. Les décisions sont prises de façon collégiale, autour d’un noyau de chercheurs et de chercheuses à l’initiative du projet (comme Nicolas Sauret ou Servanne Monjour), une éditrice et des étudiants qui ont rejoint l’aventure éditoriale (comme Hélène Beauchef, Roch Delannay ou l’auteur de cette thèse) ou des contributeurs experts (comme Marcello Vitali-Rosati ou Michael Sinatra). Ces choix et ces positionnements posent plusieurs questions, comme le financement des projets éditoriaux — dont les modalités d’implication des personnes qui y sont investies —, ainsi que la diffusion de ces productions dans un écosystème occupé majoritairement par des maisons d’édition au fonctionnement plus classiques ou par des presses universitaires rattachées à des universités.

La démarche des Ateliers de [sens public] est de repenser la façon d’éditer un livre ( & , ) & (). Quel régime de conception pour les communs éditoriaux ? Revue française des sciences de l’information et de la communication(23). Consulté à l’adresse https://journals.openedition.org/rfsic/11994 , à travers plusieurs ouvrages dont nous pouvons donner quelques informations. Le premier livre, Facebook : L’école des fans est un recueil d’essais de Gérard Wormser à propos des réseaux (sociaux) et de l’effet de la place hégémonique de Facebook dans l’espace sociale et médiatique. L’espace numérique est un dialogue entre Éric Méchoulan et Marcello Vitali-Rosati, mettant en scène leur conversation épistolaire (et numérique). Le troisième livre des Ateliers est la traduction d’un essai sur les bibliothèques de R. David Lankes, Exigeons de nouvelles bibliothèques, et le premier titre à intégrer des contenus additionnels. Fabrique de l’interaction parmi les écrans : Formes de présences en recherche et en format est un ouvrage collectif qui présente plusieurs années de recherche du séminaire doctoral « Interactions Multimodales Par ÉCran ». Cinquième livre des Ateliers, Lire Nietzsche à coups de sacoche : Panorama des appropriations féministes de l’œuvre est un essai philosophique de Mélissa Thériault. Le dernier livre publié par les Ateliers, de Gilles Bonnet, Erika Fülöp et Gaëlle Théval, concerne l’engagement d’auteurs et d’autrices de littérature sur les plateformes de vidéo, il est intitulé Qu’est-ce que la littéraTube ?

Ces livres reposent sur trois grands principes : le libre accès, ce qui signifie que les contenus sont accessibles sans restriction ; la publication multi-formats (PDF, EPUB, imprimé), voire multimodale avec une version web augmentée pour plusieurs titres ; la maîtrise de la diffusion avec le dépôt des versions sur le propre site web des Ateliers, qui ne dépend pas d’une structure tierce. Le choix du libre accès se traduit par une licence Creative Commons (BY-SA, ce qui signifie que la parenté et le partage à l’identique sont obligatoires). Il faut préciser qu’il ne s’agit pas uniquement d’un accès ouvert, ici des modes de réutilisation sont permis et encadrés. Ensuite, la publication multi-formats ou multimodale est une dimension importante pour un projet de publication de monographies. Les dispositions de lecture peuvent varier, et les Ateliers proposent plusieurs façons de lire leurs textes : en numérique avec une version figée PDF qui peut également être imprimée, toujours en numérique avec une version liquide EPUB pour les liseuses, et enfin une version imprimée pour des lectures hors écran. La version imprimée est proposée via la plateforme Lulu.com en impression à la demande, procédé d’impression déjà évoquéVoir 1.2. La forme du livre et sa matérialité. Les livres plus récents sont disponibles en version web augmentée, il s’agit d’un site web qui comporte les mêmes contenus que les autres formats, avec des enrichissements comme des index, des glossaires, des médias (vidéos, images) ou des encarts additionnels. Enfin les Ateliers disposent de leur propre plateforme, tous ces formats sont disponibles directement sur leur site webhttps://ateliers.sens-public.org sans intermédiaire (hormis Lulu.com pour le livre imprimé).

Le lien avec la revue Sens public tient aussi dans la manière de produire les artefacts. Dans le cas de la revue, un workflow éditorial a été mis en place dès 2016 ; cette chaîne d’édition a donné lieu à la création de l’éditeur de texte sémantique pour l’édition scientifique Stylo (, & al., ) , , & (). Écrire les SHS en environnement numérique. L’éditeur de texte Stylo. Revue Intelligibilité du Numérique. https://doi.org/10.34745/numerev_1697 . Cette façon d’éditer des articles scientifiques a trois objectifs : disposer d’outils d’écriture et d’édition libres, contrairement aux traitements de texte propriétaires largement utilisés par la communauté scientifique, avec ce positionnement fort que les outils conditionnent notre écriture (, ) (). Qu’est-ce que l’écriture numérique ? Corela. Cognition, représentation, langage(HS-33). https://doi.org/10.4000/corela.11759  ; adopter une écriture et une édition sémantiques des textes ; générer simultanément plusieurs artefacts à partir d’une seule source, pour faciliter le travail d’édition et pour permettre une certaine horizontalité des interventions sur le texte. Stylo est autant une preuve de concept qu’un outil d’écriture et d’édition mis à la disposition de la communauté scientifique avec le soutien, notamment, d’Huma-Num — la très grande infrastructure de recherche en France. Les Ateliers est une structure éditoriale qui a prolongé cette approche pour les livres. Nous n’explicitons pas ici le processus de fabrication des AteliersVoir 2.5. Le Pressoir : une chaîne d’éditorialisation, mais un livre en particulier, pour analyser en détail les artefacts ainsi que le travail d’édition numérique nécessaire.

#1.5.2. Exigeons de meilleures bibliothèques : un livre emblématique

Exigeons de meilleures bibliothèques : Plaidoyer pour une bibliothéconomie nouvelle est un livre de R. David Lankes, c’est un projet éditorial d’envergure par ses multiples formes et ajouts, et collectif avec une communauté de bibliothécaires qui a participé au projet. R. David Lankes est professeur de bibliothéconomie et une figure du monde des bibliothèques en Amérique du Nord. Le texte en anglais est autoédité par l’auteur en 2016, le texte français est issu d’un travail de traduction collectif sous la direction de Jean-Michel Lapointe. L’édition augmentée est réalisée par Hélène Beauchef. À la suite d’une première traduction le texte a été annoté puis modifié : des corrections ont été appliquées à la traduction lorsque nécessaire, et des contenus ont été ajoutés pour augmenter ou illustrer certaines parties du texte, tout cela à partir de ce travail d’annotation. C’est donc un processus collectif (plusieurs personnes étaient impliquées) et collaboratif (le travail collectif a été réalisé de façon concertée) qui s’est déroulé.

Ce livre se démarque des précédents titres des Ateliers pour une raison principale : sa version web « augmentée » diffère des versions PDF, imprimée ou EPUB. Exigeons de meilleures bibliothèques est une preuve de concept d’une édition numérique enrichie. Les ajouts sont de plusieurs natures, tant en termes de dispositifs de lecture que de contenu. Des outils du livre sont ajoutés, comme un glossaire et un index des noms propres, index qui comporte les renvois vers les occurrences dans les chapitres. La version EPUB ne comporte aucun des deux, et les versions PDF ou imprimée ne comportent que l’index des noms propres, sans renvoi cliquable pour le PDF. Des outils de navigation permettent de parcourir les contenus sur la version web : accès aux chapitres via un menu, passage d’un chapitre à l’autre via des boutons/liens sur l’interface graphique, liens hypertextes dans le texte pour aller directement à une autre partie du texte. Des enrichissements apparaissent au cours du texte et sont également regroupés dans un chapitre dédié. Il s’agit de références bibliographiques supplémentaires, de liens hypertextes, d’images, de vidéos ; ces contenus sont identifiés et portent une mention précisant par qui ils ont été ajoutés. Ils sont par ailleurs identifiés sous forme de bloc entre des paragraphes, visibles ou à dérouler, directement dans le flux du texte ou dans les marges. Si le balisage des organismes et des lieux est réalisé mais non visible sur l’interface de lecture, il est possible de le découvrir dans le code source des pages web, ou dans les sources des contenus (S.A., ) (S.A.). (). Lankes. Ateliers de [sens public]. Consulté à l’adresse https://framagit.org/ateliers/lankes/ .

Cette qualification d’édition enrichie tient aux éléments qui ne sont pas dans les versions EPUB ou PDF : des outils (avancés) du livre comme les glossaire ou index, des possibilités de navigation, et des contenus additionnels. Ces enrichissements apportent des éléments supplémentaires par rapport au texte originel. Ils donnent des informations complémentaires qui ne figurent pas ailleurs. Exigeons de meilleures bibliothèques est un livre emblématique des Ateliers car il est le premier du catalogue à être enrichi, et le premier à envisager des liens entre plusieurs formats ou versions possibles d’un même texte.

Figure 1.. Capture d’écran de la version web du livre Exigeons de meilleures bibliothèques, chapitre 6
Figure 1.. Capture d’écran de la version PDF du livre Exigeons de meilleures bibliothèques, pages 157 et 158
Figure 1.. Capture d’écran de la version web du livre Exigeons de meilleures bibliothèques, des contenus additionnels dans le chapitre 2

Nous envisageons le livre comme un artefact pour inclure dans sa définition le processus technique nécessaire à sa fabrication, et pour ne plus seulement le considérer comme un objet — le résultat d’une production. Ce livre, Exigeons de meilleures bibliothèques, révèle en partie la façon dont il a été fabriqué, et plus spécifiquement via les différents artefacts que sont les versions numériques ou imprimée. Les enrichissements de la version web ne sont par exemple possibles qu’à condition de baliser de façon sémantique les contenus, balisage qui peut être découvert en inspectant le code source des pages web. Ce livre porte les conditions de sa fabrication : les différences entre la version web et les autres formats permettent de comprendre comment cet ouvrage a été édité.

#1.5.3. Le livre en tant que hybridation

Ce livre est un exemple contemporain de ce qu’est un livre, parce qu’il correspond à la définition que nous avons établie, et parce qu’il est un cas d’hybridation — avec la co-existence et la relation entre les différents formats et versions. Reprenons la définition du livre que nous avons établieLivre Le livre est un artefact éditorial clos, il est le résultat d’un travail d’écriture et d’édition, de création ou de réflexion, un objet physique (par exemple imprimé) ou numérique …
Voir chapitre 1 — Liste des concepts
 : un artefact éditorial clos, résultat d’un travail d’écriture et d’édition, de création ou de réflexion, un objet physique (par exemple imprimé) ou numérique (un fichier ou un flux) maniable voire malléable. Le livre des Ateliers, en tant que l’ensemble des artefacts (formats EPUB, PDF, web et imprimé), remplit ces critères : il est clos en termes de contenus, publié à une certaine date même s’il peut être mis à jour ; il y a eu un travail d’écriture et d’édition, et plus précisément plusieurs phases successives d’écriture et d’édition collectives ; c’est un texte traduit issu d’un texte original, avec des enrichissements sélectionnés et appliqués au texte ; il existe sous différents formats ; ces formats sont portables (imprimé et EPUB), maniables, répondant à des standards (web/HTML, EPUB) ou des normes (PDF), et malléables puisqu’il est possible d’adapter l’affichage aux dispositifs de lecture (web/HTML et EPUB). Exigeons de meilleures bibliothèques répond à notre définition mais présente toutefois une originalité, justement dans la multiplicité des formats, et avec cette forme augmentée. Le livre est repensé dans cette expérimentation éditoriale, dans la complémentarité des versions et dans la diversité des dispositifs de lecture. Cette complémentarité constitue une nouveauté qui peut être intégrée à notre définition, elle ouvre également sur un autre concept en lien avec nos recherches, celui de l’hybridation des modes de fabrication.

Le concept d’hybridation, décrit par Alessandro Ludovico dans Post-digital print ( & , ) & (). Post-digital print: la mutation de l’édition depuis 1894. Éditions B42. , définit les relations qu’entretiennent d’une part plusieurs techniques de production et de diffusion éditoriales, et d’autre part plusieurs formats du fait de leur co-existence et de leur complémentarité. La version web de Exigeons de meilleures bibliothèques est complémentaire, par exemple, de la version imprimée. Complémentaire en termes de contenus — les enrichissements de la version web — mais aussi en termes de dispositif de lecture — le format web ne nécessitant rien d’autre qu’un navigateur web, et le format papier n’ayant pas besoin d’un appareil électrique pour être lu. Les deux versions peuvent donc être consultées dans des contextes de lecture différents, elles co-existent et sont complémentaires.

En 2012 Alessandro Ludovico réalise une étude de nombreuses initiatives éditoriales afin de démontrer que le numérique apporte une dimension supplémentaire à l’édition. Parmi ses exemples, celui de l’auteur américain Cory Doctorow est particulièrement illustratif. Cory Doctorow propose des formats numériques gratuits (PDF, EPUB ou audio) et imagine plusieurs formes de livres imprimés, du format poche imprimé à la demande via la plateforme Lulu.com à la version plus luxueuse fabriquée par des artisans du livre, cette dernière étant produite en un nombre limité d’exemplaires. Le livre numérique peut devenir un produit d’appel, gratuit, pour déclencher des ventes de livres imprimés. Alessandro Ludovico place l’« impression postnumérique » comme l’horizon de l’hybridation, combinant la souscription, la complémentarité entre papier et numérique, l’utilisation de l’informatique pour la production, ou encore l’adoption de stratégies cross media. L’édition ne doit plus consister à figer un texte pour pouvoir le placer dans un espace économique, mais aussi à étendre le contenu du livre et à anticiper des situations de lecture. Alessandro Ludovico expose le concept d’hybridation comme l’association de processus de production et de diffusion éditoriaux, et comme la complémentarité des formes des artefacts — typiquement le livre imprimé et le livre numérique.

Pour reprendre un autre exemple déjà abordé, Busy Doing Nothing du collectif Hundred RabbitsVoir 1.3. Éditer autrement : le cas de Busy Doing Nothing est également un exemple d’hybridation des formats : la version paginée (PDF ou imprimée) est complémentaire — en termes de contenus — de la version web initiale. Ici le mouvement est inversé par rapport au livre de R. David Lankes, puisque le parcours éditorial — et expérimental — part du Web pour aller vers des formats comme le PDF et l’imprimé. Comme les livres des Ateliers, Busy Doing Nothing porte des principes forts : générer plusieurs artefacts dans un même projet éditorial ; constituer un environnement de diffusion autonome ; maîtriser les outils de production ; donner l’accès aux sources. Et comme le duo Hundred Rabbits, les Ateliers construisent leur propre environnement d’édition et de publication. Cela nécessite un investissement important dans l’apprentissage des techniques et des technologies nécessaires à l’établissement d’une chaîne d’édition et aux outils de diffusion. La dimension de recherche scientifique, comprenant un environnement académique, est une condition de faisabilité d’un tel projet qu’il serait certainement difficile à développer dans le cadre d’une structure éditoriale classique. Les expérimentations des Ateliers peuvent toutefois être considérées comme des exemples dont peuvent s’inspirer d’autres initiatives.

#1.5.4. Éditer et fabriquer

Pour qu’un livre soit considéré comme tel, faut-il aujourd’hui nécessairement une hybridation ? Un livre disponible dans un seul format ou une seule version, ou imprimé sans équivalent numérique (enrichi ou non), est-il encore un livre ? Il ne s’agit pas ici de porter un jugement sur des publications existantes, mais de constater les changements opérés au sein de structures qui éditent, qui font exister les textes, en prenant en compte différents contextes de lecture selon les types de contenus. Si un artefact éditorial peut faire émerger le processus à son origine, c’est le sens même de l’édition qui est également reconsidéré.

Le livre est un objet éditorial complexe, il est le résultat d’un travail d’écriture et d’édition, de création ou de réflexion. Le livre est un concept nécessaire à la compréhension de la constitution de la connaissance et de sa transmission. Le livre est un artefact, un objet physique qui prend la forme d’un ensemble de feuilles de papier reliées ou de fichiers liés. Le livre est maniable voire malléable. Nous sommes parvenus à la définition du livre en tant que concept, objet, forme et artefact, en parcourant autant ses origines historiques, que les évolutions techniques nécessaires à son apparition et à son évolution, ou encore en étudiant des formes contemporaines et originales. Penser le livre comme artefact n’est possible qu’à condition d’étudier des objets éditoriaux en établissant une filiation entre le livre et la technique. Penser le livre comme artefact nous amène donc à observer le processus qui donne lieu au livre. Durant ce premier chapitre nous n’avons ni défini ni étudié ce processus qu’est l’édition.

Enfin, les artefacts créés par les Ateliers sont issus d’un processus de fabrication. Ce processus est décrit dans l’étude de cas du Pressoir, la chaîne d’édition des AteliersVoir 2.5. Le Pressoir : une chaîne d’éditorialisation, et le concept de fabrique est détaillé dans un chapitre suivantVoir 5.4. La fabrique : éditer des fabriques et fabriquer des éditions. Éditer, fabriquer : deux activités qui doivent être décrites et mises en relation. Ce qui apparaît donc désormais comme nécessaire est l’établissement d’une définition de l’édition, acte de fabrication d’un texte et de ses artefacts. Le chemin vers la définition d’une fabrique d’édition passe par cette définition.

Références bibliographiques

, & (). The long tail. Les éditions logiques.
(). Le texte et la technique: la lecture à l’heure des médias numériques. Le Quartanier.
(). L’art de publier des essais : entretien avec Alexandre Laumonier. Consulté à l’adresse https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/03/14/entretien-alexandre-laumonier/
, & (). Technique, technologie : mots, concepts, catégories. Artefact. Techniques, histoire et sciences humaines(15). 7–14. https://doi.org/10.4000/artefact.11173
& (). Busy Doing Nothing. Hundred Rabbits.
(). The book. The MIT Press.
Borsuk, A. (dir.). (). The Book: 101 Definitions. Anteism.
, & (). Devenirs numériques de l’édition. Sciences du Design, no 8(2). 27–33. https://doi.org/10.3917/sdd.008.0027
(). Les règles de l’art: genèse et structure du champ littéraire. Éditions du Seuil.
(). À quoi rêvent les algorithmes: nos vies à l’heure des big data. Seuil.
(). L’ordre des livres: lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe entre XIVe et XVIIIe siècle. Alinea.
(). The Printing Revolution: A Reappraisal. Dans Baron, S., Lindquist, E. & Shevlin, E. (dir.), Agent of change: print culture studies after Elizabeth L. Eisenstein. (pp. 397–408). University of Massachusetts Press. Consulté à l’adresse https://www.loc.gov/catdir/toc/ecip0711/2007004225.html
(). Notre-Dame-des-Médias. Ceci tuera ceux-là, qui ne mourront pas. Azimuts(43). 147–160.
(). Fabrication. Consulté à l’adresse https://www.cnrtl.fr/definition/fabrication
(). Le livre décomposé. Sens public(2021). https://doi.org/10.7202/1089659ar
(). Pour le livre. Unesco.
, & (). D’encre et de papier: une histoire du livre imprimé. Imprimerie nationale éditions / Actes Sud.
(). The century of artists’ books. Granary Books.
(). The Printing Press as an Agent of Change: Communications and Cultural Transformations in Early Modern Europe. Cambridge University Press.
(). La révolution du livre. Unesco.
& (). Quel régime de conception pour les communs éditoriaux ? Revue française des sciences de l’information et de la communication(23). Consulté à l’adresse https://journals.openedition.org/rfsic/11994
& (). L’apparition du livre. Albin Michel [1999].
(). L’identité. Flammarion.
(). Artefact, les apports de l’approche simonienne. Les Enjeux de l'information et de la communication, 2(8). Consulté à l’adresse https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2007/supplement-a/10-artefact-les-apports-de-lapproche-simonienne/
(). Always Already New: Media, History and the Data of Culture. The MIT Press.
(). The Importance of Being Printed. Journal of Interdisciplinary History, 11(2). 265. https://doi.org/10.2307/203783
, & (). La page de l’Antiquité à l’ère du numérique: histoire, usages, esthétiques. Hazan / Louvre éditions.
(). Writing machines. MIT Press. Consulté à l’adresse http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb41235225p
(). Histoire du livre. Presses universitaires de France [2001].
Lardellier, P. & Melot, M. (dir.). (). Demain, le livre. L'Harmattan.
& (). Media do not exist. Institute of Network Cultures.
(). Objet technique (artefact, instrument, machine, dispositif). Dans Bouchard, F., Doray, P. & Prud'homme, J. (dir.), Sciences, technologies et sociétés de A à Z. (pp. 165–168). Presses de l’Université de Montréal.
& (). Post-digital print: la mutation de l’édition depuis 1894. Éditions B42.
& (). La forme du livre. Dans Une histoire de la lecture. (pp. 155–181). Actes Sud.
& (). Une histoire de la lecture. Actes Sud.
(). L’imprimerie. Presses Universitaires de France.
& (). La galaxie Gutenberg: la génèse de l’homme typographique. CNRS éditions [2017].
(). Pour comprendre les médias: les prolongements technologiques de l’homme. Points [2013].
(). Une autre histoire de l’édition française. La Fabrique éditions.
(). Le vacillement des formats : matérialité, écriture et enquête : le design des publications en Sciences Humaines et Sociales. Thèse de doctorat, Université Rennes 2. Consulté à l’adresse https://theses.hal.science/tel-03052597
(S.A.). (). artéfact. Larousse. Consulté à l’adresse https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/artefact/5512
(S.A.). (). Lankes. Ateliers de [sens public]. Consulté à l’adresse https://framagit.org/ateliers/lankes/
(S.A.). (). Gilbert Simondon Entretien sur la mécanologie [complet] 1968 (R1: Bobine 1 de 3). Consulté à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=VLkjI8U5PoQ
(). L’artefact : un objet du faire. Les Enjeux de l'information et de la communication, 2(8). Consulté à l’adresse https://lesenjeux.univ-grenoble-alpes.fr/2007/supplement-a/19-lartefact-un-objet-du-faire
(). busy doing nothing. Consulté à l’adresse https://100r.co/site/busy_doing_nothing.html
(). mission. Consulté à l’adresse https://100r.co/site/mission.html
(). north pacific logbook. Consulté à l’adresse https://100r.co/site/north_pacific_logbook.html
(). North Pacific Logbook. Hundredrabbits. Consulté à l’adresse https://git.sr.ht/~rabbits/busydoingnothing
(). Weathering Software Winter. Consulté à l’adresse https://100r.co/site/weathering_software_winter.html
& (). Histoire du livre et de l’édition : production & circulation, formes & mutations. Albin Michel.
(). L’image du texte pour une théorie de l’énonciation éditoriale. Les cahiers de mediologie, 6(2). 137–145. https://doi.org/10.3917/cdm.006.0137
(). Le livre numérique enrichi : conception, modélisations de pratiques, réception. Thèse de doctorat, Université Paris 8 - Saint-Denis. Consulté à l’adresse https://hal.science/tel-03189497
& (). Livre et typographie: essais choisis. Éditions Allia.
(). Le livre utopique. Mémoires du livre / Studies in Book Culture, 4(2). https://doi.org/10.7202/1016737ar
, & (). À propos. Consulté à l’adresse https://ateliers.sens-public.org
, , & (). Écrire les SHS en environnement numérique. L’éditeur de texte Stylo. Revue Intelligibilité du Numérique. https://doi.org/10.34745/numerev_1697
(). Qu’est-ce que l’écriture numérique ? Corela. Cognition, représentation, langage(HS-33). https://doi.org/10.4000/corela.11759