Chapitre 3Le numérique et l'avènement de l'édition numérique

Table des matières

Le livre et l’édition constituent respectivement des artefacts énonciateurs et des processus dispositifs, dont l’étude nous permet de comprendre l’émergence du sens et les conditions de la diffusion de la connaissance. Nous analysons désormais le rôle du numérique en tant modification profonde des mécanismes de modélisation épistémologique. Nous avons déjà consacré plusieurs développements pour définir l’environnement numérique et ses dynamiques, notamment autour de l’éditorialisationVoir 2.4. L’éditorialisation en jeu, il s’agit maintenant de définir le numérique en tant que reconfiguration des processus eux-mêmes. Comment s’établissent des chaînes ou des fabriques d’édition avec le numérique ? Qu’est-ce que signifie éditer en numérique ? C’est grâce au travail de définition et de conceptualisation du livre et de l’édition que nous pouvons désormais présenter, analyser et critiquer le numérique.

Nous définissons tout d’abord le numérique et son écosystème, en tant que mode de représentation et de diffusion d’information, en réseau, dont l’usage des protocoles et des standards issus de l’informatique forme des cultures numériques. Dans le domaine de l’édition, le numérique a engendré un nouvel objet, le livre numérique, qui révèle un mode de fonctionnement ou d’adoption bien particulier de duplication du modèle imprimé, que nous qualifions d’homothétisation. Cette disposition représente une phase intermédiaire de compréhension et d’intégration des enjeux numériques. Pour expliquer ce que signifie éditer avec le numérique, tout en préservant une longue histoire typographique et bibliographique, la première étude de cas de ce chapitre est consacrée à Ekdosis, un paquet LaTeX pour l’édition critique. Cette étude de cas nous amène à interroger le lien fondateur entre l’édition et les humanités numériques. Les sciences humaines et sociales ont développé, avec les humanités numériques, une approche et une méthodologie critique fortement ancrées dans des pratiques d’édition et de publication numériques. Enfin nous dédions la seconde étude de cas à un projet qui bénéficie des méthodologies initiées par les digital humanities tout en se situant dans sa marge. Les modes de fabrication qui y sont développés incarnent une définition possible de l’édition numérique, implémentant des méthodes et des principes issus des mouvements critiques des humanités numériques.

Cet examen approfondi du numérique, dans le prolongement d’une étude des processus d’édition, nous permet d’interroger la question des formats, ce que nous faisons dans le chapitre suivant.

1.

#3.1. Le numérique : culture, politique et ubiquité
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Nous établissons un cadre pour appréhender le numérique et pour déterminer son rôle majeur dans le champ de l’édition. Il ne s’agit pas uniquement de constater les changements induits par le numérique dans l’édition, mais également de mettre en relation les questions d’édition avec celles du numérique pour circonscrire ce domaine vaste, et pour disposer d’une définition précise.

Définition Numérique

Liste des conceptsLe numérique est une infrastructure technique permettant l’échange de données, il est composé de dispositifs d’affichage et d’interaction. Le numérique permet le développement d’usages à partir de technologies, ces technologies bénéficient en retour de ces pratiques pour évoluer. Le numérique est constitué de l’informatique en tant que modélisation calculatoire sur laquelle des machines diverses traitent des informations à l’aide de programmes, instanciés grâce à des protocoles et des standards. Le numérique est englobant et ubiquitaire, car il se structure avec le métamédia qu’est l’informatique. Des services comme le Web se fondent sur des réseaux de réseaux comme Internet, et font émerger des modalités d’écriture et d’édition, multiples et protéiformes. Les cultures numériques se forment avec les terminaux, les logiciels, les plateformes, les protocoles, les normes et les standards.

Pour confirmer cette définition nous débutons notre recherche par une description de l’informatique à partir d’éléments contextuels techniques et historiques. Nous pouvons alors considérer des cultures numériques, qui sont autant la somme des pratiques plurielles que les fondements inhérents à cet assemblage technique et social que constitue le numérique. Enfin nous relevons des dimensions critiques du numérique, à la fois pour montrer l’ambivalence des enjeux et l’hétérogénéité des positions politiques qui constituent justement ces cultures.

#3.1.1. L’informatique : de la discrétisation à l’applicatif

La réalité derrière le numérique, derrière les écrans, les interfaces et les services que nous utilisons, c’est l’informatique.

(Citation: , , p. 23) (). Culture numérique. Les presses SciencesPo.

Domaine d’activités vaste, et discipline scientifique, l’informatique est une façon de traiter, de transmettre ou de représenter de l’information (, , p. 62 et 113) (). Lexique de l’informatique. Entreprise moderne d'édition. , le plus souvent avec un ordinateur — mais aussi avec d’autres dispositifs comme des automates. Dans Culture numérique, Dominique Cardon donne quelques éléments synthétiques qui permettent de comprendre le fonctionnement d’un ordinateur : c’est une machine qui calcule, ces calculs sont basés sur la logique et sur trois fonctions élémentaires que sont la disjonction, la conjonction et la négation. L’ordinateur est une machine à calculer, son objectif premier est de réaliser des opérations impossibles pour des personnes humaines.

L’origine de l’informatique et les bases du fonctionnement de l’ordinateur, dans lesquels Alan Turing a joué un rôle déterminant, sont liées au texte. En 1936 Alan Turing conceptualise, dans un article fondateur (, ) (). On Computable Numbers, with an Application to the Entscheidungsproblem. Proceedings of the London Mathematical Society, s2-42(1). 230–265. https://doi.org/10.1112/plms/s2-42.1.230 , une machine capable de réaliser n’importe quel type de calcul. Il procède à une expérience de pensée dans laquelle les données et les programmes sont une même chose, concevant ainsi une machine — abstraite — permettant de réaliser n’importe quel calcul. Quelques années après cette publication, Alan Turing est recruté par l’armée britannique pour créer une machine capable de décoder les messages de l’armée allemande pendant la seconde guerre mondiale. Il s’agit de résoudre un problème textuel avec les mathématiques : rendre lisible des messages cryptés. Les développements de l’informatique qui suivent sont surtout consacrés aux calculs balistiques, toutefois cette machine computationnelle universelle est un système qui permet de modéliser du texte et de le traiter comme données.

L’un des aspects fondamentaux de l’informatique, directement lié à la dimension de calculabilité, est le concept de discrétisation. Dans un environnement numérique où tout est opérations mathématiques, chaque information est représentée par une série de 0 et de 1 — aussi appelée chiffres en base 2. Ces informations sont discontinues, contrairement à un signal analogique qui est, lui, continu. Une donnée discrète est une donnée calculable, qu’un ordinateur peut lire, modifier, écrire, éditer — notons qu’il s’agit ici de calcul, mais aussi d’écriture et d’édition. Ce signal numérique apporte un avantage inestimable à l’époque de la reproductibilité industrielle : une information peut être copiée sans perte, contrairement à une information analogique qui ne peut conserver l’entièreté de sa qualité initiale lors de la copie d’un support à un autre.

Cette avancée technique engendre des tensions représentatives d’un nouveau paradigme, comme le passage de l’analogique au numérique, ou le stockage et la gestion d’importantes quantités de données. L’information continue analogique ne peut être totalement transcrite par une information discontinue numérique, il y a nécessairement une perte au moment de l’échantillonnage, quand bien même le signal numérique comporte beaucoup d’informations. Les systèmes permettant de convertir ces informations sont de plus en plus performants, mais il y a de fait deux modélisations épistémologiques irréconciliables. La deuxième tension concerne la difficulté de stocker et de gérer des informations qui sont toujours plus nombreuses. Même si les capacités de stockage augmentent, l’enjeu est d’être aussi capable de lire, classer ou transmettre ces informations. Ces deux exemples de tensions, parmi d’autres, révèlent le numérique comme « une forme très spécifique de modélisation du monde devant être comprise dans une longue continuité de mathématisation du réel » (, ) (). Le fait numérique comme «  conjonctures médiatrices  ». Communication & langages, 208-209(2-3). 155–170. https://doi.org/10.3917/comla1.208.0155 , une forme qui est désormais partout, et qu’il est possible d’appréhender uniquement si nous définissons notre position par rapport au numérique.

D’un point de vue pratique, un ordinateur est en mesure de comprendre des instructions et de réaliser les opérations correspondantes, mais ce fonctionnement est déterminé par sa capacité à reconnaître des types d’information pour appliquer le traitement adéquat. Cette dimension d’interopérabilité conditionne fortement le développement du matériel et du logiciel, en effet la compatibilité entre plusieurs composants ou entre plusieurs machines se traduit par la mise en place de standards et de protocoles. Un standard est un ensemble d’éléments de référence qui permettent de s’accorder sur la façon dont des informations doivent être représentées dans un environnement précis. Il s’agit de recommandations qui sont partagées au sein d’une communautéÀ ne pas confondre avec la norme, qui est un ensemble de règles déterminées et approuvées par un organisme qui dispose d’une reconnaissance sociale, gouvernementale ou souvent économique.. Un standard est créé pour éviter toute ambiguïté, et pour permettre à des humains ou des machines de communiquer entre eux (humains-machines mais aussi machines-machines) sur une base commune. Le protocole a beaucoup de points communs avec le standard, notamment sur la question des conventions partagées, mais il s’agit plus précisément de la circulation ou de l’échange de données entre des entités. En informatique, là où le standard peut avoir une application individuelle — par exemple un format que plusieurs programmes peuvent interpréter —, le protocole concerne plusieurs machines et la façon dont elles peuvent communiquer. L’interopérabilité est le modèle conceptuel à l’origine des standards et des protocoles, dont le Web est probablement une des implémentations les plus emblématiques : une page web peut être lue de façon presque identique quel que soit le matériel ou le système d’exploitation.

L’informatique s’est développée rapidement, autant en termes de capacité de calcul que d’invisibilisation de ses processus techniques. Il n’est plus nécessaire de savoir lire en base 2 ou d’utiliser un compilateur pour se servir d’un ordinateur, et cela remet en cause notre capacité à conserver un regard critique sur ces technologies (, ) (). There is No Software. CTheory. 147–155. Consulté à l’adresse https://journals.uvic.ca/index.php/ctheory/article/view/14655 . La dimension applicative de l’informatique, en cela qu’elle est presque toujours proposée derrière une interface, peut être considérée de façon ambivalente. La facilité d’accès engendre un développement des pratiques que nous ne pouvons pas regretter, même si cela se fait au détriment de l’acquisition d’une littératie. Ces pratiques constituent, de façon disparate et multiple, une culture numérique.

#3.1.2. Des cultures du numérique

Une acception commune consiste à définir le numérique comme l’usage de l’informatique en tant que média capable de simuler tous les autres. Le numérique ne peut pas se réduire pas à ces dispositifs techniques, les usages de ces dispositifs forme une culture constituante. Elle est « la somme des conséquences qu’exerce sur nos sociétés la généralisation des techniques de l’informatique » (, , p. 18) (). Culture numérique. Les presses SciencesPo. .

Avant Dominique Cardon, Milad Doueihi a identifié et analysé la reconfiguration des pratiques culturelles avec le numérique en faisant plusieurs constats, notamment la place importante prise par les questions juridiques et d’ingénierie dans la constitution de cet environnement, ou les effets de duplication d’une culture de l’imprimé (, ) (). La Grande conversion numérique. Éditions du Seuil. . Ce qui ressort plus particulièrement de La grande conversion, c’est l’importance des formes émergentes et la matérialité des dispositifs, en effet cette culture numérique ne peut se constituer qu’avec des supports et des processus de production d’artefacts. Mais qu’est-ce que la culture ?

[…] la « culture » est un ensemble varié et cohérent, on pourrait dire un système, de pratiques et de visions du monde, de valeurs et de savoirs, de méthodes et de comportements, de façons de penser et de communiquer, de protocoles et de normes, d’instruments de la connaissance et les connaissances mêmes qui en découlent. Si ce système, dont la dimension constitutive est sociale, est articulé, agencé et régi par une technologie aussi diffusée et omniprésente que la technologie numérique, alors la culture numérique peut être conçue comme la culture à l’époque du numérique.

(Citation: , ) (). La culture numérique selon Dominique Cardon. Sens public. https://doi.org/10.7202/1067448ar

Peppe Cavallari ajoute, « la culture ne peut pas ne pas être numérique ». L’ouvrage Culture numérique de Dominique Cardon aborde les nombreuses dimensions de cette culture, en revenant plusieurs fois sur les éléments qui en font une exception. Les trois « lignes de force » permettent de prendre la mesure de ces singularités : « augmentation du pouvoir des individus par le numérique », « apparition de formes collectives nouvelles et originales » et « redistribution du pouvoir et de la valeur » (, , p. 7-8) (). Culture numérique. Les presses SciencesPo. . Le numérique est quelque chose qui se pratique, quand bien même nous ne maîtrisons pas tous les rouages de cette mécanique complexe, et cette pratique est réflexive. En effet, « si nous fabriquons le numérique, le numérique nous fabrique aussi » (, , p. 9) (). Culture numérique. Les presses SciencesPo. .

Les conditions techniques du numérique ont permis à cette culture de se constituer. Lorsque nous parlons de « numérique », nous intégrons implicitement à cette notion l’informatique, Internet, le Web, les dispositifs qui permettent de les utiliser et de les détourner, et les nombreuses pratiques induites. Le numérique n’a pu se développer et engendrer des usages aussi répandus que grâce à l’agencement de ces briques techniques, cet agencement n’est possible que grâce à une dimension essentielle : la mise en place de protocoles et de standards. Nous avons distingué plus haut ces deux termes, précisons que leur élaboration dépend de mécanismes d’édition et de publication. Les RFC, ou Request for Comments, sur lesquelles Internet est construit, sont par exemple des spécifications techniques qui reposent sur un système de soumission, de discussion et de validation devant confirmer leur pertinence pour ensuite prévoir leur implémentation. Les standards du Web sont développés au sein du W3C (World Wide Web Consortium) qui est chargé de les documenter, afin qu’ils soient implémentés. Si le numérique dispose de couches techniques dont le fonctionnement dépend d’une adoption commune et d’une certaine homogénéité, en revanche les usages sont particulièrement divers, tout comme les positionnements politiques vis-à-vis de ces technologies, c’est pourquoi nous parlons plutôt des cultures numériques au pluriel.

#3.1.3. Des dissidences critiques

L’informatique, comme toutes techniques ou technologies, suscite des critiques au moment de son développement et de son avènement. Ce regard critique est une dimension importante lors de l’émergence de nouveaux outils, surtout lorsque ceux-ci amènent des bouleversements sociaux et culturels. Certains mouvements technophiles, et notamment les initiatives numériques et industrielles en provenance de la Silicon Valley, ont tendance à étouffer, à ignorer et à moquer ces modes d’expression, au profit d’un modèle politique et économique libertarien (, ) (). La tech: quand la Silicon Valley refait le monde. Éditions du Seuil. . À titre d’exemple, nous pouvons remarquer combien le luddisme est aujourd’hui considéré comme un rejet du progrès, alors que son objet et ses raisons sont bien plus complexes ( & ) & (s.d.). La révolte luddite: briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation. Éd. l'Échappée. . Les critiques exprimées lorsque de nouvelles technologies ou de nouveaux médias apparaissent révèlent aussi l’objet de leur mise en place, en opposition aux discours positivistes qui les précèdent.

Les interventions critiques sur la technique sont nombreuses. En sciences humaines nous pouvons signaler — notamment — Jacques Ellul, Ivan Illich, Bernard Stiegler ou Gilbert Simondon, mais d’autres voix singulières et plus discrètes, exprimées et diffusées avec le numérique, exposent des critiques pertinentes sur l’informatique. Parmi elles, « Thèses sur l’informatique » est un texte pamphlétaire publié une première fois en ligne en 2018 puis imprimé en 2020 par Véloce, une « revue et collectif révolutionnaire ». La volonté de diffuser ce texte largement, en mettant en ligne une version facilement accessible, s’ajoute à une démarche de publication qui oscille entre fanzinat (avec l’absence d’ISBN, et la fabrication artisanale et presque amateure qui révèle quelques erreurs de fabrication) et édition limitée (avec la numérotation des exemplaires). Cet objet est influencé autant par une culture du livre que par une culture numérique, ce qui en fait un objet éditorial d’autant plus intrigant.

Le développement de l’informatique a d’abord bouleversé l’infrastructure économique, transformé la façon de produire ; et voilà qu’un demi-siècle plus tard, l’intégralité des conduites et des modes de pensée s’aligne sur les ordinateurs. Leur réseau recouvre l’ensemble de la société.
On ne peut expliquer cet essor de l’informatique que par la contradiction des forces productives et des rapports de production.

(Citation: S.A., , p. 32) (S.A.). (). Thèses sur l’informatique. Véloce(1). 29–39. Consulté à l’adresse http://www.lisez-veloce.fr/veloce-01/theses-sur-linformatique/

La critique, construite sous forme de courts fragments — des thèses —, aborde l’informatique sous l’angle sociologique avec une forte influence marxiste. L’informatique est considérée comme un outil, ou comme une partie ou le tout d’une démarche globale de production — d’objets ou de valeurs. La question qu’engendre son adoption très large est la perte de maîtrise des outils de production — comme le mouvement luddite l’avait bien exprimé. L’introduction de l’informatique, et par extension du numérique, partout, augmente ce phénomène :

Si le capitalisme vend à chacun son moyen d’accès au réseau, c’est pour ne pas rendre à tous les moyens de produire.

(Citation: S.A., , p. 33) (S.A.). (). Thèses sur l’informatique. Véloce(1). 29–39. Consulté à l’adresse http://www.lisez-veloce.fr/veloce-01/theses-sur-linformatique/

C’est ici un point d’achoppement avec des éléments que nous avons déjà abordés concernant la question de la production et de l’éditionVoir 1.1. Le livre : fonctions, concept et modes de production, où l’usage généralisé de l’informatique implique de s’interroger sur la nature même des objets qui sont ainsi produits, ainsi que sur la possible dépossession des outils d’édition. Avec ce texte publié par et dans Véloce, nous pouvons observer une démarche d’édition et de publication qui donne à voir un double mouvement de critique et de performativité de cette critique. En ne se limitant pas à une version numérique (une page web), Véloce entend conserver une certaine maîtrise dans la fabrication puis la diffusion d’un artefact éditorial. Et en même temps cette revue affirme, en publiant d’abord en numérique, qu’il est possible de faire autre chose avec le numérique que de nourrir un modèle économique capitaliste. D’autres visions du monde font l’objet d’initiatives qui refusent des outils de contrôle pour favoriser des démarches d’émancipation.

#3.1.4. Pour un numérique politique

Le numérique est fondé sur des protocoles, des standards et des logiciels, dont leurs conditions d’accès façonnent leur développement et nos usages. Il ne peut y avoir de culture(s) numérique(s) qu’avec une libre circulation de ces modèles épistémologiques. À ce titre, le mouvement dit du « logiciel libre » joue un rôle prépondérant dans la constitution de nos environnements numériques.

Le logiciel libre entend porter des valeurs qui dépassent le cadre strict du développement informatique, pour aboutir à une libre utilisation de l’informatique par toutes et tous. Il s’agit d’une forme d’utopie ( & , ) & (). Utopie du logiciel libre. Éditions le Passager clandestin. , tant les ambitions autour de projets comme la FSFLa Free Software Foundation est une organisation à but non lucratif basée aux États-Unis dont la mission est la promotion du logiciel libre. ou le projet GNUGNU est système d’exploitation, ou operating system en anglais, libre. sont grandes, prônant une forme de liberté via la maîtrise de la technologie. Le logiciel libre est articulé autour de quatre libertés : l’utilisation du programme/logiciel, l’étude et la modification du code, le partage de copies, la distribution du code modifié.

The word “free” in our name does not refer to price; it refers to freedom. First, the freedom to copy a program and redistribute it to your neighbors, so that they can use it as well as you. Second, the freedom to change a program, so that you can control it instead of it controlling you; for this, the source code must be made available to you.

(Citation: , ) (). What is the Free Software Foundation? GNU's Bulletin, 1(1). Consulté à l’adresse https://www.gnu.org/bulletins/bull1.txt

Ce projet se concrétise par la mise en place de licences appliquées à des programmes ou des logiciels, le but étant ici d’inciter à la modification du code, notamment pour inviter les personnes qui le souhaitent à contribuer. Ces licences sont des descriptions de ce qu’il est possible de faire ou non avec des précisions sur le contexte, les conditions d’application ou encore les questions de profit liées à la mise à disposition du code ou des logiciels. Ces dimensions philosophiques sont en partie gommées dans ce qui est appelé l’open source. Cette transposition industrielle du logiciel libre qu’est le mouvement open source est une volonté d’accélérer les développements économiques liés à l’ouverture du code informatique — quitte à passer sous silence les motivations originelles pourtant déterminantes du logiciel libre. Dans les faits, aujourd’hui, il n’y a pas de différence notable entre une licence libre et une licence open source. Un simple détail permet de prendre la mesure de cette subtile différence d’approche : sur le site web de l’initiative Open Source apparaît un copyright © à côté de « Open Source », comme si l’initiative d’ouverture du code devait elle-même être limitée dans ses usages. A contrario, le projet GNU est organisé dès son origine en cédant ses droits à la fondation (à but non lucratif) qui le gère, et donc à ses utilisatrices et ses utilisateurs.

Le projet politique du logiciel libre s’est répandu au point de concerner également les créations artistiques, avec l’apparition des licences Creative Commons en 2001. Il s’agit de contrats cadrant l’usage d’œuvres, d’abord dans une démarche de mise en ligne, mais aussi pour des contenus diffusés par d’autres moyens que sur les réseaux Internet. L’objectif est de déclarer les types de réutilisation possibles, comme c’est le cas avec le logiciel ou le code sous licence libre ou open source. Le copyright classique ne permet effectivement pas une diffusion et une circulation sur le Web, alors que les licences Creative Commons proposent un dispositif en donnant plusieurs combinaisons basées sur des éléments faciles à comprendre : l’attribution, l’usage non commercial, la limitation dans l’échantillonnage, et le partage à l’identique (avec l’attribution d’une licence équivalente). Les Creative Commons, initiées notamment par le juriste Lawrence Lessig, s’inspirent directement du développement informatique et du logiciel libre, proposant des outils libres, légaux et techniques pour permettre la constitution de cultures avec le numérique. L’engouement autour des Creative Commons est important (, ) (). Les Creative Commons. Une troisième voie entre domaine public et communauté ? Recherches sociologiques et anthropologiques, 46(2). 43–65. https://doi.org/10.4000/rsa.1514 , à tel point que certaines plateformes comme Flickr l’adoptent comme fonctionnement par défaut. Cette forme de transposition est également un marqueur de cette impossibilité de séparer totalement les contenus et les outils qui permettent leur manipulation.

À cette dimension de propagation il faut ajouter celle d’ubiquité : le numérique s’insère partout. Il faut noter à quel point, en quelques dizaines d’années pour l’informatique puis en quelques années pour Internet puis le Web, le numérique touche à toutes les activités humaines.

L’expression de « numérique ubiquitaire » (ubiquitous computing) a été forgée dès 1988 par Mark Weiser, dans le cadre de son travail à Xerox PARC. Il le concevait comme une troisième phase de développement des systèmes informatiques, après une première phase centrée sur d’énormes ordinateurs collectifs (mainframe) et une deuxième phase caractérisée par la multiplication des ordinateurs personnels (PC). Cette troisième phase se caractérise par le fait que les appareils numériques deviennent invisibles parce qu’ils se répandent partout.

(Citation: , & al., , p. 369) Citton, Y., Lechner, M. & Masure, A. (dir.). (). Angles morts du numérique ubiquitaire: glossaire critique et amoureux. Les Presses du réel.

Cette invisibilisation du numérique ne contribue pas à maintenir un regard critique dans notre rapport à la technique. Nous devons permettre un dévoilement continu des rouages de cet environnement qu’est le nôtre, pour mieux l’appréhender et le comprendre, et pour s’émanciper. Si une forme de généralisation du numérique est observable depuis les débuts de l’informatique, les usages ne sont pas homogènes. Internet et le Web, malgré une certaine homogénéisation générée ou entretenue par les jardins fermés tels que les grandes multinationales et plateformes parfois qualifiées de GAFAM (pour Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft), conservent des modèles épistémologiques très divers, comme nous avons déjà pu le voir avec AbrüptVoir 1.3. Éditer autrement : le cas de Busy Doing Nothing. Derrière une uniformité de façade, le numérique dispose de nombreux angles morts, pour reprendre le titre de l’ouvrage par Yves Citton, Marie Lechner et Anthony Masure.

2.

#3.2. Le livre numérique ou la pensée homothétique
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Le numérique est ubiquitaire en tant qu’il touche à toutes les strates des activités humaines, y compris le livre et l’édition. L’avènement d’une culture numérique passe aussi par la numérisation du livre, par sa transposition dans un environnement où tout doit être calculé, impliquant ainsi un changement (profond) de paradigme qui oblige à repenser cet objet. Dans le cadre de notre étude nous analysons désormais ce qu’est le livre numérique. Il est symptomatique de la constitution d’une certaine culture numérique, surtout avec le développement d’un important catalogue d’objets numériques homothétiques. Cette mise en perspective d’une homothétisation de modèles épistémologiques est réalisée en définissant le livre numérique comme reproduction d’un modèle imprimé dans un écosystème numérique, puis par l’analyse de la transformation de la chaîne du livre induite par l’émergence d’un tel objet. Autrement dit nous questionnons la supposée innovation qu’est le livre numérique, en tant que symptôme d’un rapport problématique avec le numérique — et plus globalement avec la technique.

#3.2.1. Quelques définitions du livre numérique

L’expression de « livre numérique » entretient une ambiguïté sur la nature du livre sur le plan de son contenu. Elle recouvre une grande diversité d’objets textuels qui mettent en relation le projet littéraire et artistique avec ses conditions d’existence matérielles et techniques.

(Citation: , ) (). L’infini du livre : entre numérique et tangible. Sciences du Design, 8(2). 79–89. Consulté à l’adresse https://www.cairn.info/revue-sciences-du-design-2018-2-page-79.htm?contenu=article

Définir le livre numérique, après le livre, est une tâche complexe qui soulève des interrogations théoriques dans le champ des sciences de l’information et plus particulièrement de l’étude des médias. Comme pour le livre imprimé, le livre numérique porte les conditions de son existence, directement liées à sa structuration en tant qu’artefact numérique.

Livre disponible en version numérique, sous forme de fichier, qui peut être téléchargé, stocké et lu sur tout appareil électronique qui en permet l’affichage et la lecture sur écran.

(Citation: S.A., ) (S.A.). (). Livre numérique. Consulté à l’adresse https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/8375423/livre-numerique

Cette définition de l’Office québécois de la langue française révèle les ambiguïtés de cette association livre et numérique, et font également apparaître des enjeux et des questionnements en lien avec l’édition. Il s’agit tout d’abord d’une version, laissant supposer qu’un livre numérique est encore un livre, et qu’il peut coexister avec d’autres formes ou formats. Ensuite, la question du fichier sous-entend l’existence d’un environnement constitué par l’informatique, il y a donc une machine qui calcule des informations structurées pour permettre leur affichage et leur lecture. Il s’agit de lire sur un appareil électronique qui se charge de traiter ces données. Enfin, cette lecture est permise par l’intermédiaire d’un écran, le texte est donc mis en forme pour être interprété par des humains, il s’agit d’un travail de rendu graphique spécifique qui diffère de l’imprimé (, & al., ) Cramer, F., Cubaud, P., Dacos, M. & Lantenois, A. (dir.). (). Lire à l’écran: contribution du design aux pratiques et aux apprentissages des savoirs dans la culture numérique. Éditions B42. .

Le terme de « livre numérique » porte en lui sa définition, le poids de son héritage et les contraintes de son état. En effet, en construisant le nom de ces fichiers numériques sur la base du terme « livre », nous avons lié explicitement l’un à l’autre.

(Citation: , ) (). Livre numérique. Abécédaire des mondes lettrés. Consulté à l’adresse http://abecedaire.enssib.fr/l/livre-numerique/notices/129?path=54

Le livre numérique est ainsi un prolongement du livre, avec des caractéristiques originelles communes et de nouvelles particularités. Les nécessités de conserver un lien filial entre ces deux objets sont autant économiques que culturelles. En effet, il s’agit de pouvoir identifier le livre en tant que rémanence culturelle avec tout son héritage et sa légitimité, tout en lui conférant une valeur marchande qui ne doit pas remettre en cause celle de l’imprimé, mais également en valorisant ses (nouvelles) spécificités liées au support écran. Dans le cas de structures d’édition qui sont amenées à publier conjointement des versions imprimées et numériques, l’enjeu est important.

#3.2.2. La possibilité du livre numérique : entre standard, dispositif technique et volonté éditoriale

Recommençons. Définir le livre numérique est à la fois simple, car son histoire est récente et documentée, et complexe, car les rares définitions formalisées répondent à des modèles épistémologiques souvent opposés (, ) (). Origines, formes et supports du livre numérique. Dans Queyraud, F. (dir.), Connaître et valoriser la création littéraire numérique en bibliothèque. (pp. 72–80). Presses de l’Enssib. . Un consensus s’accorde sur le premier livre numérique historique avec la mise à disposition de la Déclaration d’indépendance des États-Unis sour forme de fichier texte par Michael S. Hart en 1971. Loin d’être la première expérience de lecture numérique ou de littérature numérique, cette date révèle déjà un élément analytique déterminant : lorsqu’il s’agit de livre numérique il est important d’associer le contenu, sa diffusion et le dispositif de lecture — le modèle économique vient malgré tout après. L’apport de Michael S. Hart porte autant sur le format choisi que sur le mode de diffusion. Il s’agit d’un (simple) fichier texte, choix guidé par les limites de l’époque ne permettant pas de mise en forme — pas plus que d’encodage en UTF-8, ce qui limite l’utilisation de certains caractères. Le livre est diffusé via le réseau Internet d’alors, c’est-à-dire Arpanet et ses quelques ordinateurs connectés. Même si la diffusion est limitée, plusieurs personnes ont accès à ce fichier et l’objectif sous-jacent est bien une diffusion, quelle qu’en soit l’échelle — il ne s’agit donc pas d’une expérimentation isolée. L’affichage induit par ce format oblige alors à un rendu relativement similaire selon les personnes et les machines — notamment les sauts de lignes gérés dans le format texte, et la non-adaptation du texte à la taille de l’écran. L’objectif premier n’est pas d’expérimenter une nouvelle forme d’écriture ou de lecture, mais plutôt de permettre un accès plus large et plus rapide — et plus facile, dans une certaine mesure — à un contenu textuel. D’autres expérimentations peuvent être considérées comme antérieures à celle-ci, comme l’Index Thomisticus de Roberto Busa, l’Enciclopedia Mecánica d’Ángela Ruiz Robles, ou certaines expérimentations de Douglas Engelbart ou Andries van Dam autour de l’hypertexte.

Le fichier texte partagé par Michael Hart est avant tout une preuve de concept, le premier titre d’une longue suite, rapidement rejoint par des classiques de la littérature — d’abord majoritairement en langue anglaise. En effet, cette mise en livre numérique de la Déclaration d’indépendance des États-Unis a donné lieu à une initiative qui a beaucoup influencé le devenir du livre numérique : le projet Gutenberg (, ) (). Le Projet Gutenberg (1971-2008). Consulté à l’adresse https://www.gutenberg.org/ebooks/27046 . Le choix du nom — Gutenberg Project — n’est pas anodin, le numérique étant alors perçu comme un nouveau moyen de diffuser largement la connaissance. C’est un projet humaniste qui rassemble une communauté active autour de la numérisation et de la mise en accès gratuite de livres dans le domaine public. Ces contenus, qui sont libérés de leur propriété économique marchande, peuvent donc circuler librement. La plateformehttps://gutenberg.org, mise en place dès les débuts du Web en 1994, propose plusieurs formats, dont le format texte précédemment cité, mais aussi des formats HTML ou PDF. La lecture se fait alors majoritairement sur des écrans d’ordinateurs, seul dispositifs connectés à Internet jusqu’au début des années 2000. Ce projet est autant humaniste que patrimonial, revendiquant un droit d’accès à la culture au-delà des institutions comme l’école ou l’université. Comme le souligne Amaranth Borsuk, les textes sont désormais consultables à n’importe quel moment, indexables par des moteurs de recherche, et archivables par des institutions et des individus (, , p. 213-217) (). The book. The MIT Press. . Il s’agit d’une des trois dimensions nécessaires à l’émergence et à l’adoption du livre numérique : la constitution d’un catalogue accessible.

Plusieurs initiatives s’efforcent de définir un format standard pour ce nouvel objet numérique, répondant à des contraintes propres au livre : une structuration du texte, une déclaration des contenus (organisation en parties, présence de médias) et des métadonnées. Des recherches convergent vers le format EPUB (, ) (). Le livrel et le format ePub. Dans Sinatra, M. & Vitali-Rosati, M. (dir.), Pratiques de l'édition numérique. (pp. 177–189). Parcours numériques. Consulté à l’adresse http://www.parcoursnumeriques-pum.ca/le-livrel-et-le-format-epub , dont l’IDPFL’International Digital Publishing Forum est un consortium à visée commerciale. puis le W3CLe World Wide Web Consortium absorbe l’IDPF en 2017, les deux structures partageant beaucoup de points communs. est le garant de sa standardisation. Parmi les principes fondateurs de l’EPUB, le plus déterminant est l’interopérabilité, il s’agit d’assurer une compatibilité d’interprétation et de lecture par plusieurs logiciels dédiés à cette tâche. Le fichier EPUB, qui dispose d’une extension du même nom, est un dossier compressé, un ensemble de fichiers rassemblés grâce un manifeste qui précise leur organisation. La technologie XML, et plus spécifiquement le format XHTML, permet de structurer sémantiquement les pages, à laquelle des feuilles de style sont associées pour assurer la mise en forme, enfin des métadonnées descriptives sont formalisées avec Dublin Core. Il s’agit d’un site web encapsulé, le format EPUB s’inspire donc beaucoup du fonctionnement du Web en tant que support de lecture numérique. L’objectif de la mise en place de ce format est double : sa portabilité — ce que permet difficilement un site web — et sa mise en vente. Enfin ce format doit aussi pouvoir être protégé, et ainsi limiter sa copie et son partage pour ne pas perdre le contrôle des rétributions. C’est la deuxième condition du livre numérique : un format interopérable et standard.

Diverses recherches autour de dispositifs portables de lecture, inspirés du livre imprimé, aboutissent en 2004 à la première liseuse à encre électronique accessible, la Sony Librie, puis à une commercialisation plus large avec le modèle PRS-500 en 2006. Le prix accessible ainsi que sa mise à disposition relativement large permettent à un nombre suffisamment important de personnes de pouvoir l’acquérir et de voir émerger des situations de lecture numérique. Il y a eu de nombreux précédents, dont la tablette SoftBook en 1996 qui a précédé l’iPad, ou plus tôt encore en 1960 avec le Dynabook, un projet ambitieux mené notamment par Alan Kay que nous abordons plus longuement par la suiteVoir 5.2. Contre le logiciel : pour des processus décomposés et ouverts. L’apport de l’encre électronique est décisif pour pouvoir, enfin, disposer d’un appareil portable et avec une grande autonomie, et proposant un confort de lecture proche du livre imprimé. Avec la technologie de l’encre électronique, l’énergie n’est nécessaire que pour changer l’état de l’écran et donc son affichage, les billes d’encre pouvant conserver leur état (blanc ou noir) pendant très longtemps. L’appareil est particulièrement léger, bien moins lourd que la SoftBook par exemple — 250 grammes contre 1,3 kilogrammes. Un rétroéclairage est bientôt ajouté à tous les modèles — l’encre électronique ne diffuse pas de lumière —, et des écrans intègrent même de la couleur. Au moment de la sortie de la PRS-500, soit plus de trente ans après le lancement du projet Gutenberg, il est possible de lire dans des conditions très similaires à celles du livre imprimé, sans la contrainte d’un dispositif lourd et peu autonome. Cette condition est la troisième et dernière permettant l’apparition du livre numérique et de ses usages.

La disponibilité de titres du domaine public crée un engouement autour de la lecture numérique, et incite quelques maisons d’édition pionnières à proposer aussi leurs titres dans ce format. Des structures vont jusqu’à ne publier que des livres numériques, c’est le cas de Publie.net en France, qui pendant ses premières quatre années ne propose pas de versions imprimées (, ) (). Publie.net : La littérature est-elle soluble dans le numérique ? Indications, 383. Consulté à l’adresse https://orbi.uliege.be/handle/2268/73619 . Les catalogues des maisons d’édition sont progressivement numérisés, jusqu’à ce que les titres soient publiés conjointement aux formats imprimé et numérique.

La question économique est un enjeu majeur du livre numérique, qui a des répercussions sur toute la chaîne et donc aussi sur le livre imprimé. La question du prix du livre numérique a animé le monde du livre pendant un certain temps. Trop bas, il contribue à une perte de valeur symbolique. Trop haut, il est considéré comme un frein au développement des usages. Plusieurs analyses tendent à envisager la stratégie des grandes maisons d’édition, vis-à-vis de l’établissement de ce prix, et pendant la première décennie du livre numérique, comme une réaction de réticence face à l’inquiétude de perdre la maîtrise des flux économiques. Plusieurs épisodes ont ponctué l’essor du livre numérique, dont en Europe la question de savoir s’il s’agit d’un bien culture ou d’un service, la taxe associée variant de 5 à 20%. Après quelques soubresauts dont différents types de maisons d’édition s’offusquent, le livre numérique partage enfin le même statut que le livre imprimé dans la plupart des pays. Entre l’initiative du Projet Gutenberg et les réactions diverses des maisons d’édition, les bibliothèques de lecture publique ont joué un rôle important dans l’accompagnement de cette stabilisation et de cette reconnaissance. Elles ont été à la fois initiatrices avec le prêt numérique ( & , ) Dillaerts, H. & Epron, B. (dir.). (). L’offre de livres numériques à destination des bibliothèques de lecture publique : un regard international. Presses de l’enssib. https://doi.org/10.4000/books.pressesenssib.1567 , laboratoires de lecture numérique avec l’acquisition puis le prêt de matériels, et partenaires de certaines initiatives éditoriales en s’abonnant à des offres d’éditeurs. Les bibliothèques ont été promotrices autant que critiques de ce nouvel établissement livresque, en mettant à disposition des titres, des offres, des dispositifs, des espaces d’échange et de découverte.

Définition Livre numérique

Liste des conceptsUn livre numérique est la transposition du modèle du livre dans l’écosystème numérique. Cela signifie tout d’abord l’utilisation de l’informatique pour la conversion ou la création des artefacts éditoriaux, puis la mise en réseau des fichiers produits afin de les rendre disponibles, et enfin l’usage de terminaux électroniques pour la lecture des fichiers. Le livre numérique répond à un modèle épistémologique qui met le livre, dans sa forme classique, au centre, reproduisant autant que possible l’objet ainsi que les pratiques d’édition.

Ce que nous n’avons pas dit, c’est que l’écrasante majorité des titres numériques, proposés dès 2006 par les maisons d’édition, sont des livres dits homothétiques. Autrement dit une duplication des livres imprimés sur un nouveau support. Cette approche, qui résulte d’une considération particulière du numérique dans la chaîne du livre, mérite d’être explicitée en détail.

#3.2.3. La justification du livre homothétique

Livre numérique.
Ouvrage édité et diffusé sous forme numérique, destiné à être lu sur un écran. Note :

  1. Le livre numérique peut être un ouvrage composé directement sous forme numérique ou numérisé à partir d’imprimés ou de manuscrits.
  2. Le livre numérique peut être lu à l’aide de supports électroniques très divers.
  3. On trouve aussi le terme « livre électronique », qui n’est pas recommandé en ce sens.

(Citation: S.A., ) (S.A.). (). Vocabulaire de l’édition et du livre (liste de termes, expressions et définitions adoptés). Consulté à l’adresse https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000025627105

En France il aura fallu plusieurs années avant qu’une définition légale ne soit donnée pour le livre numérique, confirmant son droit d’exister aux côtés du livre imprimé. Cette définition stabilisée, très proche de celle de l’Office québécois de la langue française, cadre l’expression « livre numérique » principalement pour faciliter sa commercialisation et l’avènement d’un modèle marchand bien loin de l’utopie du Projet Gutenberg. Le livre numérique peut désormais cohabiter aux côtés d’autres formats, et principalement le format imprimé. Notons que cette cohabitation de plusieurs formats, formes ou versions est un motif qui se répète. Le livre de pocheVoir 1.1. Le livre : fonctions, concept et modes de production a par exemple été considéré comme une évolution importante du livre, sans que son apparition ne vienne faire disparaître les formats d’alors. Comme le livre de poche, le livre numérique accompagne de nouvelles pratiques de lecture, de consommation, mais aussi de création ou d’édition.

Ces pratiques restent pourtant assez limitées, en effet elles n’adoptent pas toutes les potentialités offertes par le numérique. Les livres numériques des sites marchands, ou des bibliothèques ouvertes ou libres (comme le Projet Gutenberg), sont presque uniquement homothétiques. L’homothétie est un concept mathématique, plus précisément une transformation géométrique qui permet de reproduire un objet par le biais d’une projection. L’usage de ce terme s’est répandu pour définir un livre numérique qui a les mêmes propriétés que son homologue papier, propriétés néanmoins projetées dans un environnement numérique. Ainsi, même si une translation est opérée, le livre numérique homothétique ne propose pas de fonctionnalités supplémentaires autres que celles permises par un dispositif numérique. Parmi elles nous pouvons signaler la modification de l’affichage (détails typographiques divers), les liens hypertextes internes (comme une table des matières), des marque-pages multiples, la recherche en plein texte ou encore l’accès à un dictionnaire. S’il s’agit là de modifications notables par rapport à l’équivalent imprimé, il n’en reste pas moins que le contenu, lui, reste le même. Autrement dit les potentialités du numérique sont utilisées uniquement pour permettre la lecture du même texte.

Le livre numérique homothétique n’est néanmoins pas un facsimilé. Ce dernier, qui peut être dans un format numérique — souvent le format PDF qui permet un affichage constant quel que soit l’environnement —, reproduit les caractéristiques graphiques du livre imprimé. Le caractère homothétique se définit ici par un contenu identique à un modèle imprimé, tout en s’inscrivant dans un nouvel environnement — numérique.

Si les livres numériques homothétiques reprennent certains aspects du livre imprimé, ils peuvent aussi, tout en préparant les interactions avec le texte en fonction de son horizon d’attente, échapper à ce modèle par des déplacements ou des hybridations.

(Citation: , ) (). L’infini du livre : entre numérique et tangible. Sciences du Design, 8(2). 79–89. Consulté à l’adresse https://www.cairn.info/revue-sciences-du-design-2018-2-page-79.htm?contenu=article

Le constat de Florence Jamet-Pinkiewicz donne un éclairage complémentaire à notre propos : sans remettre en cause le contenu du livre lui-même, le livre numérique homothétique propose un environnement de lecture différent qui peut constituer en soi un nouveau modèle épistémologique. Les possibilités de personnalisation de la mise en page du livre font partie de ces glissements, il s’agit aussi d’un pouvoir important sur le texte mis entre les mains des personnes le lisant (, ) (). Les polices ont du caractère. Consulté à l’adresse https://www.la-croix.com/Archives/2012-11-15/Les-polices-ont-du-caractere.-Les-polices-ont-du-caractere-_NP_-2012-11-15-876569 .

Le livre numérique homothétique s’oppose au livre numérique enrichi, bien moins répandu dans les catalogues commerciaux.

Les livres numériques « enrichis » sont, en revanche, décrits comme des œuvres expérimentales, porteuses d’une tension créatrice liée à l’intégration des potentialités animées et manipulables de l’écriture numérique.

(Citation: , , p. 16) (). Le livre numérique enrichi : conception, modélisations de pratiques, réception. Thèse de doctorat, Université Paris 8 - Saint-Denis. Consulté à l’adresse https://hal.science/tel-03189497

Les expérimentations enrichies, comme les décrit Nolwenn Tréhondart dans sa thèse dédiée à ce sujet, sont plus complexes à diffuser et à vendre en raison de ces formes plurielles et parfois imprévisibles. Plusieurs tentatives participent à cette volonté d’embrasser le numérique en tant que nouveau médium, comme les liens hypertextes, la mise en réseau, l’embarquement de médias divers ou encore les fonctionnalités inhérentes aux dispositifs (écran tactile, géolocalisation, positionnement de la tablette, microphone, etc.). Ces expérimentations ont accompagné le développement du livre numérique dans sa globalité, parfois au sein de structures plus proches du jeu vidéo que de l’édition, ou parfois en s’associant à ces démarches multimédia. C’est le cas de Mnémos en France, qui a développé un catalogue de livres numériques homothétiques en parallèle de projets plus audacieux intégrant des enrichissements propres au numérique (, ) (). L’univers de Lovecraft sur l’iPad. Consulté à l’adresse https://www.livreshebdo.fr/article/lunivers-de-lovecraft-sur-lipad . Le livre numérique enrichi pose problème car il échappe à une commercialisation classique. Ses formats sont divers et souvent non interopérables — par exemple les applications uniquement conçues pour les tablettes iPad de la marque Apple. Les fichiers contiennent des médias imposant en poids (taille des fichiers), voire en puissance de calcul nécessaire à leur lecture (images et vidéos en haute résolution, scripts gourmands en ressources). Par ailleurs certaines fonctionnalités avancées en font des objets rapidement périssables, des mises à jour étant nécessaires pour la compatibilité avec certains matériels ou systèmes d’exploitation. Des contraintes qui, en plus des coûts importants de développement, limitent une diffusion large.

La chaîne du livre numérique s’est ainsi essentiellement constituée autour du livre numérique homothétique, considérée comme un segment plus stable permettant un développement économique certain et un déplacement des usages raisonnables. Si de grands espoirs ont été nourris sur l’apport du numérique dans les pratiques éditoriales, dans les faits l’industrie du livre n’a pas modifié ses modèles de production, de diffusion et de distribution, encore largement basés sur ceux de l’imprimé.

Dans un univers où les groupes géants reposent d’abord sur une force de vente remarquablement organisée, de la diffusion à la distribution, l’édition a tendance, on l’a vu à plusieurs reprises, à devenir secondaire, et, même si c’était le cas dès l’origine chez Flammarion, cette tendance s’est renforcée au XXe siècle et accentuée encore au XXIe.

(Citation: , , p. 128) (). Brève histoire de la concentration dans le monde du livre. Libertalia.

En France et en Europe, les activités de certaines maisons d’édition, dont les plus grandes en taille, se concentrent sur la diffusion et la distribution en raison de leur rentabilité. Cela explique le peu d’engouement pour le livre numérique — y compris homothétique. Les rares expérimentations des grandes maisons, sur le terrain du livre numérique enrichi, sont des preuves de concept — sans passage à l’échelle — ou des opérations de communication pour convaincre d’un secteur ancien qui innove.

Voyant un marché en train de se constituer sans eux (, ) (). Le livre à l’heure numérique: papiers, écrans, vers un nouveau vagabondage. Éditions du Seuil. , les structures d’édition adoptent tout de même le numérique avec le livre numérique homothétique, considéré surtout comme un canal de commercialisation supplémentaire. La forme homothétique est appliquée au livre, mais aussi à toute la chaîne du livre. Des investissements importants sont effectués pour accueillir ce nouveau format et pour pouvoir le vendre. Le numérique, finalement, est vu comme un moyen d’exploiter le livre (commercialement) plutôt que comme une reconfiguration des modes de création, de production ou de diffusion. Sous couvert d’innovation, le monde de l’édition a ainsi engagé des investissements très limités dans le numérique en tant que façon de faire et beaucoup plus dans l’adaptation des flux de circulation des données, de commercialisation des fichiers et de verrouillage des usages pour maîtriser les modes d’accès. Attention tout de même ici à ne pas considérer ces changements comme minimes, ils imposent déjà une vision particulière du livre, où la commercialisation de la connaissance ou de la littérature se fait au détriment des libertés permises jusqu’ici par un support imprimé. Les critiques du livre numérique sont nombreuses, considérant une certaine dérive du monde du livre vers une dématérialisation de nos vies (, ) (). L’assassinat des livres: par ceux qui oeuvrent à la dématérialisation du monde. L'Échappée. , entretenant une vision profondément technophobe.

Tentant de reproduire le modèle industriel construit autour de l’imprimé, le monde de l’édition — ou plutôt les usages majoritaires — continue de considérer la technique d’abord comme un moyen d’accélérer les modes de production ou de les rentabiliser. L’équilibre économique des structures d’édition, basé sur les activités de diffusion et de distribution du livre imprimé, se voit bouleversé par l’introduction du livre numérique qui ne nécessite plus le même type d’acheminement. La seule option acceptable est l’homothétisation du livre numérique et de la chaîne numérique dans son ensemble. Il ne s’agit donc pas d’utiliser la technologie pour considérer de nouveaux modes de création, d’écriture, d’édition, de fabrication ou de production, mais de dupliquer un fonctionnement établi sans questionner cette nouvelle disposition. Néanmoins d’autres initiatives existent, guidées non pas par une recherche de profit — voire de rentabilité —, mais par une volonté d’explorer d’autres modèles épistémologiques avec le numérique — et non grâce à. Deux modèles épistémologiques cohabitent : un numérique qui duplique et un numérique qui invente.

#3.2.4. Vers un désenclavement d’une pensée homothétique avec les technologies du Web

Nous observons, dans la constitution de cet écosystème numérique de l’édition, une accélération accompagnée d’une volonté de rentabiliser les moyens de production du livre. Le format EPUB est un exemple de cette plus forte industrialisation, et spécifiquement les modes de protection qui lui sont appliqués. En effet, si ce format permet une portabilité de ses contenus structurés, il est — par défaut — partageable sans restriction. Une des prérogatives de bon nombre des maisons d’édition est donc de pouvoir empêcher cette libre circulation. La longue litanie des DRM (Digital Right Management ou Mesures techniques de protection en français) commence, la seule solution technique adoptée largement est alors celle de l’entreprise Adobe, acteur pourtant éloigné de la chaîne du livreLa société Adobe développe tout de même un logiciel comme InDesign, largement utilisé dans le domaine de l’édition pour faire de la publication assistée par ordinateur.. Le marquage des fichiers ne rencontre pas l’unanimité, ce moyen permet pourtant de ne pas dépendre d’un tiers et de ne pas obliger les lecteurs et les lectrices à utiliser des applications de lecture spécifiques, et à se créer un compte sur le service Adobe Digital Editions — qui peut par ce biais recueillir de précieuses données de lecture. L’alternative LCP (Licensed Content Protection), interopérable et sans intermédiaire, est mise en place pour simplifier cette méthode de protection des fichiers. Son adoption ne peut toutefois être que longue, en raison de la mise en place d’une standardisation, et des spécifications techniques qui l’accompagnent et qui doivent être implémentées à une large échelle. À la fin des années 2010 une polarisation est constatée entre d’une part des téléchargements pirates que tentent d’enrayer les grands groupes d’édition, et d’autre part les jardins fermés d’AmazonAmazon va même jusqu’à créer son propre format pour la liseuse Kindle, format propriétaire et donc non-interopérable. et d’Apple qui excluent les libraires et réduisent les marges des éditeurs.

Face au format EPUB, le livre web est un objet qui dénote. Objet marginal, et pourtant cadré dans sa forme, le livre web est une alternative fonctionnelle au livre numérique tel qu’il est répandu actuellement (format EPUB avec ou sans DRM). Présent comme mode de formalisation du livre numérique, mais peu théorisé, il peut être défini comme ceci :

Un livre Web (web book) est un livre consultable dans un navigateur : une collection de documents organisés, structurés en parties (comme des chapitres), avec des outils de navigation (comme une table des matières), lisibles sur le Web et accessibles par des hyperliens. Il existe différentes modalités technologiques : mobile (responsive), consultable hors connexion, Progressive Web Application (PWA), etc.

(Citation: , ) (). Le livre web comme objet d’édition ? Dans Catoir-Brisson, M. & Vial, S. (dir.), Design et innovation dans la chaîne du livre. (pp. 141–158). PUF.

Cet objet est intéressant pour trois raisons : sa dimension formelle expérimentale, la difficulté de le commercialiser, et ses méthodes de fabrication. Le livre web bénéficie en effet de toutes les possibilités offertes par les technologies du Web en termes de mise en forme ou de fonctionnalités, mais limiter l’accès à un site web implique des mécanismes de gestion de comptes complexes. Cela explique son usage pour des livres techniques, des manuels ou des textes académiques, qui peuvent exister selon des modalités économiques autres. C’est ce que signale à juste titre Anthony Masure en faisant le lien entre recherche scientifique et publication ouverte, et entre constitution de la pensée et design des publications (, ) (). Mutations du livre Web. Consulté à l’adresse http://www.anthonymasure.com/conferences/2018-04-livre-web-ecridil-montreal . Enfin, le livre web dispose des modes de fabrication des technologies du Web. Contrairement à la production d’EPUB centrée majoritairement sur l’usage du logiciel InDesign, ces technologies permettent d’envisager une convergence entre cette forme émergente et la recherche de nouveaux modes de fabrication. Le livre web ne représente pas seulement une originalité formelle, il questionne le fonctionnement même du marché et de l’économie du livre. Dans le cadre d’un écosystème stabilisé — le modèle du livre imprimé —, le livre web remet en cause les figures d’autorité, de légitimité ou de diffusion, et propose un fonctionnement qui déstabilise les acteurs traditionnels et leur pouvoir. Pour expliciter ce point, nous prenons trois exemples de chaînes de publication.

Hachette, The Getty et Ed sont trois dispositifs mis en place pour fabriquer ou produire des livres avec les technologies du Web, adoptant des modes d’édition numérique qui diffèrent de l’homothétisation précédemment abordée. Le premier exemple est l’usage des technologies du Web par le groupe d’édition Hachette pour la production des livres imprimés dans le domaine dit trade — des romans ou des essais contenant majoritairement du texte. L’objectif est d’accélérer les modes de production et d’adopter une logique de flux permise par des contenus structurés avec les technologies du Web, plutôt que l’usage de logiciels comme InDesign (, ) (). Beyond XML: Making Books with HTML. Consulté à l’adresse https://www.xml.com/articles/2017/02/20/beyond-xml-making-books-html/ . Cette méthode — que nous détaillons plus longuement par la suiteVoir 5.2. Contre le logiciel : pour des processus décomposés et ouverts — permet d’imprimer ainsi d’imprimer des pages web via l’utilisation d’un logiciel spécifique. The Getty, fondation et musée, a mis en place une chaîne de publication numérique et multimodale nommée Quire qui reprend ce principe (, , p. 6-8) (). Les technologies d’édition numérique sont-elles des documents comme les autres ? Balisages(1). https://doi.org/10.35562/balisages.321 . L’idée ici est de publier des catalogues d’exposition en plusieurs formats, une version imprimée et plusieurs numériques, à partir d’une même source. La chaîne de publication repose sur un langage de balisage qui structure les contenus, et sur plusieurs composants (interchangeables) qui convertissent et organisent les fichiers. Le troisième exemple est Ed, un outil développé dans le champ des humanités numériques pour produire des livres web avec un minimum de dépendances technologiques (, ) (). Design for Diversity: The Case of Ed. Dans The Design for Diversity Learning Toolkit.. Northeastern University Library. Consulté à l’adresse https://des4div.library.northeastern.edu/design-for-diversity-the-case-of-ed-alex-gil/  : un générateur de site statique basé sur un langage de balisage léger, et des possibilités d’hébergement du site web à moindre coût ou gratuit. Ces trois initiatives révèlent des méthodes et des outils divers, dans trois contextes différents qui ont en commun de s’éloigner de la logique logicielle — un outil générique qui peut tout faire — et de reconfigurer les modes de validation et de diffusion.

#3.2.5. Pour une redéfinition du livre

L’homothétisation de l’édition n’est pas une fatalité comme le prouve les expérimentations ci-dessus, plusieurs regards théoriques rejoignent ces initiatives et permettent d’envisager une reconfiguration plus enthousiasmante du livre avec le numérique. Hubert Guillaud et Pierre Mounier proposent deux positionnements, respectivement autour des potentialités sociales du livre avec Hubert Guillaud, et dans la dimension de réinscriptibilité du livre numérique avec Pierre Mounier. Les deux auteurs ont en commun leur participation à l’ouvrage Read/Write Book (, ) Dacos, M. (dir.). (). Read-Write Book : le livre inscriptible. Centre pour l'édition électronique ouverte. ainsi que l’engagement dans une pensée critique du numérique en général et du livre numérique en particulier.

Pour Hubert Guillaud, le livre numérique marque une évolution plus profonde de notre relation avec l’écrit, guidée par une sociabilisation du livre. Le numérique modifie grandement notre rapport au livre et donc à la connaissance ou à la littérature, que ce soit par la mise en réseau avec le Web, ou par une forme de mémorisation collective et collaborative.

Pourquoi lisons-nous si ce n’est, le plaisir passé, pour partager, pour soi ou avec d’autres, ce que nous lisons, comme le montre chaque jour le web 2.0 des conversations ou les marges de nos livres que nous remplissons d’annotations ?

(Citation: , , p. 60) (). Qu’est-ce qu’un livre à l’heure du numérique ? Dans Mounier, P. (dir.), Read/Write Book : Le livre inscriptible. (pp. 49–64). OpenEdition Press. https://doi.org/10.4000/books.oep.147

Cette vision d’un livre numérique commentable, annotable, connecté, en réseau, rejoint celle de Pierre Mounier sur la dimension mouvante des contenus avec ce nouveau média. Selon Pierre Mounier, un livre numérique ne peut être considéré comme tel qu’à condition de pouvoir être modifié continuellement — et collectivement. Le livre numérique doit être réinscriptible, c’est-à-dire que son contenu doit pouvoir être modifié en tout temps, y compris après sa publication.

Dernières arrivées dans le paysage de l’édition électronique, les initiatives éditoriales nativement en réseau constituent un bouleversement majeur et sont souvent vues comme une menace pour les acteurs de l’édition. […] Le fait technologique majeur qui autorise ces bouleversements est le caractère infiniment réinscriptible du texte électronique.

(Citation: & , , p. 88) & (). L’édition électronique. La Découverte.

Ainsi Wikipédia serait l’une des formes de livre numérique la plus aboutie, puisque pensée pour être constamment réécrite. Dans ces deux propositions il s’agit de redéfinir le livre et le rapport que nous entretenons avec cette figure culturelle, avec, en creux, l’espoir de voir surgir de nouvelles formes de création et de partage de la connaissance.

Le livre numérique, en tant que nouvel objet et en tant que phénomène d’édition, révèle des rapports au numérique ambigus, voir des visions du monde antagonistes. Nous avons analysé l’édition dans le numérique, nous devons désormais étudier comment éditer avec et en numérique, et tout d’abord avec l’étude de cas d’Ekdosis, une chaîne d’édition pour l’édition critique.

3.

#3.3. Éditer avec le numérique : le cas d’Ekdosis
</>Commit : 07f3e07
Source : https://src.quaternum.net/t/tree/main/item/content/p/03/03-03.md

La reconfiguration des modes de fabrication et d’édition du livre, induite par le numérique, pose la question de l’héritage du modèle imprimé, et de la façon dont les acquis épistémologiques et typographiques peuvent être réinvestis dans le modèle numérique. L’édition critique est un terrain particulièrement fécond pour étudier ces évolutions et les efforts déployés pour obtenir des artefacts imprimés et numériques avec le numérique. Nous analysons ces questions avec l’étude de cas d’Ekdosis, chaîne d’édition pour l’édition critique imprimée et numérique, et plus spécifiquement une extension de LaTeX — aussi appelée package ou paquet. Il s’agit d’un dispositif technique qui invente plutôt qu’il ne duplique, et dont la modélisation présente plusieurs caractéristiques pertinentes pour notre recherche — qui concerne plus globalement les processus techniques d’édition. Avant de détailler l’origine de ce projet mené par Robert Alessi et le fonctionnement de cet outillage complexe et puissant, nous apportons quelques éléments de contexte sur ce champ particulier qu’est l’édition critique, et nous présentons également le cadre technique et sémantique de LaTeX. Cette étude de cas entend répondre à la question suivante : comment une chaîne d’édition déploie-t-elle un modèle conceptuel qui conjugue modélisations imprimée et numérique ?

#3.3.1. L’édition critique : un carrefour scientifique et un défi typographique

L’édition critique relève d’une pratique d’édition bien spécifique, dont l’objectif est la reconstitution et la publication de textes classiques permettant leur étude, via la mise en relation de contenus de natures différentes tels que les sources ou des informations sur les choix éditoriaux. L’édition critique implique la mise à disposition d’un texte, qui, sans un travail d’édition, serait soustrait à notre connaissance, et dont la forme livresque constitue une version qui fait autorité dans un champ disciplinaire. L’édition critique est complexe, elle se situe au carrefour — pour reprendre un terme utilisé par Robert Alessi — de différents domaines et approches scientifiques. Elle peut donner lieu à un objet dont le texte original est la raison d’être d’un travail de reconstitution et de dépouillement, ou à un objet dont les apparats savants constituent l’intérêt d’une démarche profondément critique dans la confrontation de nombreuses sources et commentaires. L’enjeu ici est de faire autorité avec la mise à disposition d’un artefact imprimé qui résulte d’un travail d’édition, travail qui repose essentiellement sur des choix concernant les textes, et qui dépend d’un art de la composition de la page.

Faire une édition critique imprimée est de fait le geste qui représente le mieux un rapport scientifique au texte, qui en questionne l’authenticité, le contexte historique, la transmission et finalement le sens.

(Citation: & , , p. 8) Alessi, R. & Vitali-Rosati, M. (dir.). (). Les éditions critiques numériques: entre tradition et changement de paradigme. Presses de l'Université de Montréal. Consulté à l’adresse https://www.parcoursnumeriques-pum.ca/12-editionscritiques/index.html

Une édition critique imprimée est le résultat de décisions éditoriales complexes qui sont implémentées dans l’espace de la page, la difficulté réside dans l’affichage de ces données textuelles et graphiques, souvent en grand nombre. Ainsi l’apparat critique doit obligatoirement figurer sur la même page que le texte qu’il commente, tout en laissant suffisamment de place pour celui-ci afin qu’il reste visible et lisible. Comme nous l’avons vu avec L’Utopie de Thomas Moore et son analyse par Jean-François ValléeVoir 1.2. La forme du livre et sa matérialité, la page est le lieu de choix éditoriaux, les compromis en termes de production de l’objet imprimé conduisant à des pertes irrémédiables. Les projets d’édition critique présentent des enjeux similaires, il est par exemple parfois nécessaire de disposer, sur un même espace, à la fois des leçons, des variantes, d’un apparat critique et d’un appareil critique (, ) (). Eloge de la variante: histoire critique de la philologie. Éditions du Seuil. . L’édition imprimée est parvenue à résoudre ce défi, faisant l’acquisition d’un savoir-faire en matière de composition typographique, qui s’inscrit dans une plus longue tradition qui débute bien avant les débuts de l’imprimerie à caractères mobiles. L’édition critique imprimée a ainsi développé des codes sémiotiques qui sont partagés et compris, ils sont le résultat de décisions et d’un jeu de conventions où tout ne peut être montré, et où les contraintes techniques sont totalement intégrées dans les opérations éditoriales.

Le numérique vient fortement bouleverser ces éléments établis, d’une part avec la disponibilité des textes en ligne, et d’autre part avec les possibilités d’affichage des objets numériques (les sites web en premier lieu), remettant en cause la figure d’autorité d’une édition critique, pourtant acquise avec une édition critique imprimée. Avec une édition numérique, le nombre de données n’est pas limité, il est ainsi possible d’envisager une certaine exhaustivité informationnelle et communicationnelle — pour paraphraser Joana Casenave (, ) (). L’édition critique numérique: une nouvelle approche du patrimoine littéraire et documentaire. Honoré Champion. , qui pointe également la nécessité de déterminer des modes de classement et de hiérarchisation de ces informations, ainsi que la définition de trames narratives et de scénarisations pour circuler dans ces ensembles complexes. L’autorité peut ainsi être reconstituée autour de ces parcours sémiotiques, mais aussi avec la publication des sources de ces objets numériques, dont le versionnement facilite la lecture et la visibilité de ses marqueurs (responsabilités et validations) (, ) (). Quelques réflexions sur les nouveaux horizons épistémologiques offerts par les éditions critiques numériques. Consulté à l’adresse https://hal.science/hal-04246861 .

Ekdosis, programme ou logiciel de fabrication d’éditions critiques imprimées et numériques, se place dans un double objectif de conserver une tradition paginée — avec le numérique —, tout en permettant d’envisager des usages adaptés au numérique — et donc potentiellement plus exhaustif. Ekdosis est une implémentation de LaTeX pour faire de l’édition critique — plus spécifiquement un paquet LaTeX —, et donc un système de balisage sémantique et de composition typographique, qui produit deux versions : un format PDF paginé et un format XML-TEI. Pour mieux comprendre son fonctionnement il est nécessaire de présenter LaTeX en tant que chaîne d’édition.

#3.3.2. Adopter et adapter LaTeX

Ekdosis est ainsi une application spécifique de LaTeX, et donc hérite d’un grand nombre de ses fonctionnements. LaTeX est considéré comme un langage de balisage et un système de composition destiné à la mise en forme de documents imprimés, il s’agit de l’une des premières tentatives de séparation du fond et de la forme dans l’histoire des systèmes de publication numérique. LaTeX consiste plus précisément en des commandes, qui correspondent à des fonctions, qui sont traitées par un interpréteur. Si le texte est d’une certaine façon balisé, le fonctionnement de LaTeX ne repose pas sur des conversions mais plutôt sur des calculs. Respectant des normes typographiques strictes tout en étant basé sur des fichiers au format texte et des commandes, LaTeX est un puissant système de programmation éditoriale (, ) (). L’écriture scientifique. Consulté à l’adresse https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00347616/document . L’histoire de LaTeX prend part à celle plus large des technologies de l’édition numérique ( & , ) & (). Technologies de l’édition numérique. Sciences du design, 8(2). 11–17. https://doi.org/10.3917/sdd.008.0011 . LaTeX a été développé par et pour les scientifiques, en lien avec plusieurs domaines comme l’informatique, les mathématiques ou la physique.

LaTeX est d’abord fait de TeX, un système de composition typographique qui repose sur un programme et une série de macros. LaTeX correspond à un ensemble de macros qui facilitent l’usage de TeX, permettant de disposer d’un certain nombre de commandes déjà préformatées pour composer le texte. TeX a été créé par Donald Knuth — un informaticien et mathématicien — afin de pallier des défauts de mise en forme d’un de ses livres, à la fin des années 1970 (, ) (). Computers & typesetting. A, The TeXbook. Addison-Wesley Pub. Co.. . Regrettant la pauvreté de la qualité de la composition typographique de la deuxième édition du second volume de son ouvrage The Art of Computer Programming, il se met en tête de créer un système informatique d’édition de documents. Nous sommes à la fin des années 1970, les systèmes de composition et d’impression photographiques remplacent alors les systèmes d’impression mécanique par pression. Ce qui doit prendre quelques mois à Donald Knuth l’occupe plusieurs années — suscitant au passage le beau projet de typographie générative Metafont. Dans les années 1980i, Leslie Lamport crée LaTeX (d’où le « La » de LaTeX) pour faciliter l’utilisation de TeX, par l’implémentation d’un ensemble de macro-commandes (, ) (). LaTeX: a document preparation system. Addison-Wesley. . Sans Leslie Lamport l’utilisation de TeX serait bien plus difficile.

Dans LaTeX il faut distinguer le langage de balisage, le système de composition et la distribution. Le langage de balisage permet d’appliquer des actions sur un texte, par le biais de commandes qui commencent par une contre-oblique \, des commandes précises voire parfois complexes (sujettes à des conditions, et parfois verbeuses) qui permettent de gérer de nombreux détails typographiques. Le sens du texte est qualifié, par extension nous considérons cela comme des déclarations sémantiques qui ont principalement un objectif de rendu graphique dans un document imprimé, via la production d’un fichier PDF — via un format .dvi. LaTeX se situe à l’intersection de l’imprimé et du numérique, faisant usage de pratiques issues de la programmation informatique (format texte des fichiers, commandes textuelles pour indiquer les traitements d’éléments) pour réaliser des compositions typographiques (disposition du texte, calcul de l’affichage des éléments). Enfin LaTeX requiert une distribution, c’est-à-dire un programme complet constitué de l’interpréteur (aussi appelé compilateur) LaTeX ainsi que des paquets – des modules ou des extensions qui ont une fonction spécifique traduite par des commandes. De nombreuses distributions existent, notamment pour prendre en compte des cas spécifiques comme la gestion linguistique dans des langues d’origine non latine, ou pour permettre une compatibilité face à divers systèmes d’exploitation.

LaTeX est utilisé dans plusieurs domaines, surtout académiques, pour la production d’articles, de thèses ou de livres, comme les mathématiques ou l’informatique, et notamment pour sa formidable gestion typographiques des formules mathématiques. Certaines personnes en sciences humaines y ont également recours pour sa grande fiabilité typographique — parfois via le convertisseur Pandoc. La communauté LaTeX, répartie selon les distributions et les applications, est importante, tout comme les diverses ressources mises à disposition (manuels, guides, forums, listes de diffusion, etc.)https://ctan.org. LaTeX nécessite un apprentissage, tant en termes de rédaction avec l’utilisation de commandes textuelles, que pour générer les formats de sortie via un terminal. LaTeX est un système exigeant qui, une fois le temps de prise en main passé et les ressources identifiées, est d’une grande efficacité, par exemple pour des langues non latines, des structurations complexes, ou la génération d’outils du livre comme des index. Malgré son fonctionnement rigide, LaTeX est un système de composition puissant, extensif et évolutif.

En pratique l’utilisation de LaTeX suit plusieurs étapes. L’écriture est réalisée dans un fichier au format TeX — avec l’extension .tex — via un éditeur de texte ou de code. Ce fichier qui mêle texte et codeNous nous refusons à ce dualisme, mais nous distinguons ces deux éléments pour les besoins d’une présentation concise. est ensuite compilé par LaTeX pour produire une sortie au format PDF (moyennant un passage par d’autres formats intermédiaires). Pour modifier le document final (il s’agit la plupart du temps d’un fichier PDF), il faut intervenir à nouveau sur le fichier initial et recompiler LaTeX.

Une des critiques formulées à l’égard de LaTeX est le manque de séparation entre fond (ou structure) et forme (ou composition graphique), qui en fait un bon outil de composition et moins un outil d’écriture. Pour réaliser certaines opérations typographiques, des commandes doivent être intégrées dans le fichier, qui sont parfois uniquement des indications pour l’obtention d’un rendu graphique et non des informations sémantiques. LaTeX se situe du côté de l’édition plutôt que de celui de l’écriture :

What I call the ‘LaTeX fetish’ is the conviction that there is something about LaTeX that makes it good for writing in. As we shall see, arguments in favour of writing in LaTeX are unpersuasive on a rational level: LaTeX is in fact quite bad for writing in (although it could be worse, i.e. it could be TeX). This doesn’t mean that people shouldn’t use LaTeX at all, but it does mean that people probably ought to stop recommending it as a writing tool.

(Citation: , ) (). The LaTeX fetish (Or: Don’t write in LaTeX! It’s just for typesetting). Consulté à l’adresse http://www.danielallington.net/2016/09/the-latex-fetish/

Enfin, LaTeX est un logiciel libre, cette caractéristique contribue fortement à sa découverte, son adhésion, et à la constitution d’une communauté active et ouverte. De nombreux projets l’intègrent, tels que des éditeurs de texte, des services d’écriture et d’édition en ligne (tel que le populaire Overleafhttps://www.overleaf.com), ou encore des chaînes d’édition en tant que module permettant de générer un document paginé au format PDF (tels que Zettlrhttps://zettlr.com, Quartohttps://quarto.org, Stylohttps://stylo.huma-num.fr, ou d’autres chaînes utilisant le convertisseur Pandoc). LaTeX n’est pas en concurrence vis-à-vis de logiciels de publication assistée par ordinateur comme InDesign, QuarkXPress ou Scribus, il propose en effet une autre modélisation de la composition ou plus globalement de l’édition.

Ce détour nous permet de comprendre dans quel cadre s’inscrit Ekdosis, prolongeant une longue tradition typographique, tout en utilisant les potentialités programmatiques du numérique. Nous pouvons mentionner d’autres usages de LaTeX pour l’édition critique, comme le paquet nommé reledmac (, ) (). Reledmac. Typesetting technology-independent critical editions with LaTeX. https://doi.org/10.18716/ride.a.11.1 . Celui-ci ne prévoit toutefois pas la génération d’un format XML-TEI et diffère sur certains choix — notamment l’affichage de différentes versions.

#3.3.3. Le fonctionnement d’Ekdosis

Le nom du logiciel Ekdosis provient du grec ἔκδοσις, qui signifie « publication d’un livre » (, ) (). ekdosis: Using LuaLaTeX for Producing TEI XML Compliant Critical Editions and Highlighting Parallel Writings. Journal of Data Mining & Digital Humanities, Special Issue on Collecting, Preserving, and Disseminating Endangered Cultural Heritage for New Understandings through Multilingual Approaches(Visualisation of intertextuality and text reuse). https://doi.org/10.46298/jdmdh.6536 , ne laissant aucun doute sur son objet. Il s’agit d’un paquet LaTeX, pour être plus précis Ekdosis utilise LuaLaTeX : même si la majorité des commandes sont les mêmes, LuaLaTeX se distingue notamment par l’utilisation d’Unicode et de scripts Lua, permettant une plus grande souplesse et une plus grande adaptabilité, notamment pour le multilinguisme — Ekdosis est d’ailleurs conçu pour des éditions critiques multilingues.

Ekdosis apparaît comme un outil qui combine deux impératifs : celui de produire une édition imprimée s’inscrivant dans une longue tradition philologique et celui de fournir ce que Donald J. Mastronarde et Richard J. Tarrant ont appelé « actionable texts for use in digital research ».

(Citation: , ) (). Édition critique numérique avec le logiciel Ekdosis pour LuaLaTeX. L’exemple des fragments latins d’atellanes. Humanités numériques(4). https://doi.org/10.4000/revuehn.2509

Ekdosis est un outil pensé pour produire des éditions critiques — imprimées et numériques — via l’utilisation de LaTeX et de ses commandes. L’usage d’Ekdosis consiste à baliser du texte en indiquant un certain nombre d’informations propres aux éditions critiques, comme les apparats ou les appareils, les collations, les leçons, ou les variants. Les pages sont composées en prenant en compte ces différentes informations, et un fichier est encodé dans un format numérique XML-TEI. Ekdosis rassemble ainsi deux objectifs : produire un document imprimé dans la tradition philologique, et générer un format exploitable par les machines en respectant le schéma XML-TEI. Il s’agit de la rencontre entre deux protocoles établis, à la fois différents et complémentaires.

[…] Ekdosis permet de réconcilier les deux approches : fournir des éditions critiques fiables et faisant autorité en tant qu’œuvres d’érudition pouvant être présentées aussi bien en version papier pour l’impression qu’en version électronique pour toutes sortes de requêtes sur les données.

(Citation: , ) (). Édition critique numérique avec le logiciel Ekdosis pour LuaLaTeX. L’exemple des fragments latins d’atellanes. Humanités numériques(4). https://doi.org/10.4000/revuehn.2509

Ekdosis applique deux modélisations, l’une imprimée et l’autre numérique, à partir d’une source unique. Le fait de pouvoir produire deux formats différents tout en ne travaillant que sur une seule source est un avantage important. Ainsi il n’est pas nécessaire de devoir reporter une correction sur deux fichiers pour obtenir deux artefacts, ici le principe du single source publishing — détaillé par la suiteVoir 4.4. Le single source publishing comme acte éditorial sémantique — facilite l’édition.

Le balisage d’Ekdosis comprend des commandes spécifiquement créées pour l’édition critique, nous pouvons en présenter quelques-unes pour comprendre leur fonctionnement. Nous passons outre les déclarations en en-tête nécessaires pour annoncer quelles éditions, témoins ou versions sont utilisées dans l’édition critique, Estelle Debouy les explicite très clairement dans son article. Lors de la saisie de l’édition, il est possible de distinguer la leçon choisie des autres versions du même texte dans d’autres éditions (considérées comme secondaires), en indiquant les références de ces sources.

\begin{ekdosis}
  \begin{ekdverse}
  \note[type=testium, labelb=Pompon.20,
    lem=Bucco... manus]{\icite[830]{Lind}}
    Bucco
  \app{
    \lem[wit={E, H2, L, W}]{puriter}
    \rdg[wit={Ba, H1, P}]{furiter}}
  \app{
    \lem[wit=codd]{uti tractes}
    \rdg[source=Ribb]{ut rem tractes}
    \rdg[source=Bo]{ut te tractes}
    \rdg[source=Bergk]{tractes}}.
  \app{
    \lem[wit={E, H, L, P, W}]{-- Laui iam dudum}
    \rdg[wit=Ba]{lauuandunum}} manus.
  \end{ekdverse}
\end{ekdosis}
Code 3.. Exemple d’une partie d’un document balisé avec Ekdosis, au format LuaTex, extrait d’un article d’Estelle Debouy

Dans cet exemple nous pouvons voir comment une leçon est balisée avec l’indication du document source, \lem[wit={E, H2, L, W}]{puriter}, ainsi qu’une variante aussi accompagnée de sa source, \rdg[wit={Ba, H1, P}]{furiter}}. \lem (lemma) correspond à la portion de texte concernée, l’empan, et \rdg (reading) à la variante de ce texte. Ces informations balisées sont utiles à la fois pour la production du PDF et la génération du XML-TEI. En effet Ekdosis est en mesure de transformer ce balisage, d’abord en l’interprétant — il correspond à un scénario préalablement défini, les commandes ou les balises étant déterminées dans le logiciel — puis en convertissant ce balisage dans une autre expression — selon un autre scénario. Ainsi les deux formats XML-TEI et PDF sont conjointement mais néanmoins distinctement générés. Certaines données ne sont utilisées que pour l’export XML-TEI, c’est le cas du labelb du code ci-dessus, utile pour insérer une ancre dans le format encodé. Cette ancre permet de lier deux données à l’intérieur d’un document TEI — par exemple la description d’une version et la version elle-même, via l’usage d’un identifiant.

Cette chaîne d’édition est un exemple de l’adaptation d’un système de publication dans un contexte bien spécifique, tout en adoptant des principes de calculabilité du texte à des fins d’édition.

#3.3.4. Éditer avec le numérique ou en numérique

Yet ekdosis can select a handful of versions out of many and display them properly in print while building a database meant to stand for queries and extraction of data.

(Citation: , ) (). ekdosis: Using LuaLaTeX for Producing TEI XML Compliant Critical Editions and Highlighting Parallel Writings. Journal of Data Mining & Digital Humanities, Special Issue on Collecting, Preserving, and Disseminating Endangered Cultural Heritage for New Understandings through Multilingual Approaches(Visualisation of intertextuality and text reuse). https://doi.org/10.46298/jdmdh.6536

Ekdosis est pensé pour produire des éditions critiques paginées de qualité, tout en générant une version numérique en devenir, en cela il relève d’une pratique d’édition avec le numérique plutôt que en numérique. En effet, si le format de sortie PDF constitue un artefact prêt à être diffusé, qui ne nécessite pas forcément d’être modifié, le format XML-TEI est généré pour une utilisation postérieure qui doit faire l’objet de nouvelles décisions éditoriales quant à l’affichage des informations et à leur disposition — par exemple sur un site web. Ekdosis se situe dans une position intermédiaire entre un modèle hérité de l’imprimé et un modèle numérique qui permet de produire une édition en numérique.

Ekdosis se distingue des outils habituels d’édition, ceux-ci reposent sur un empilement des informations sémantiques et de leur possible rendu graphique, empilement qui crée une confusion entre le sens et sa signification dans un espace visuel. Ekdosis, comme LaTeX, consiste en un balisage à la fois procédural et descriptifVoir 4.2. Les conditions de la sémantique : format texte et balisage qui permet de renseigner la valeur sémantique de chaque portion de texte, valeur qui est ensuite traduite en une composition graphique ou un encodage numérique. Dans le cas d’Ekdosis il est par exemple possible d’indiquer des liens avec des identifiants qui renvoient à des références dans différents endroits du document. Le texte ainsi édité n’est plus une suite d’attributions de styles graphiques mais une série de déclarations auxquelles il est possible de faire correspondre une mise en forme. Le prix de cette clarification est une certaine verbosité dans le balisage du texte comme nous pouvons le voir ci-dessous.

\begin{latin}
  \ekddiv{head=XIII, depth=2, n=6.13, type=section}
  \begin{segment}
  In omni Gallia eorum hominum qui \app{
    \lem[wit=a]{aliquo}
    \rdg[wit=b, alt=in al-]{in aliquo}}
  sunt numero atque honore genera sunt duo. Nam plebes paene
  seruorum habetur loco, quae \app{
    \lem[wit={A,M}, alt={nihil audet (aut et \getsiglum{A1})
      per se}]{nihil audet per se}
    \rdg[wit=A1,nordg]{nihil aut et per se}
    \rdg[wit={R,S,L,N}]{nihil habet per se}
    \rdg[wit=b]{per se nihil audet}}, \app{
    \lem[wit=a]{nullo}
    \rdg[wit=b]{nulli}} adhibetur \app{
    \lem{consilio}
Code 3.. Exemple d’un balisage avec Ekdosis, extrait du manuel de Robert Alessi

Pour permettre à l’éditeur ou à l’éditrice de suivre son texte, Ekdosis propose un mode d’édition et d’écriture via l’éditeur de texte Emacs, offrant la possibilité de replier des portions de texte et ainsi de faciliter la rédaction. Cette fonctionnalité est permise par le balisage d’Ekdosis sans pour autant y être intégrée directement, cette possibilité ouvre une perspective déterminante : la modélisation du texte n’a pas une incidence que sur le processus de fabrication des formats et sur les artefacts produits, mais aussi sur les modes d’écriture et d’édition.

Ekdosis, et donc aussi LaTeX, impliquent un certain rapport au texte, celui d’une composabilité sous la forme d’instructions — qui peuvent également être converties en un encodage —, plutôt qu’une série de déclarations sémantiques. Il s’agit là de deux modélisations du texte et de l’édition sur lesquelles nous revenons par la suiteVoir 4.2. Les conditions de la sémantique : format texte et balisage.

L’étude d’Ekdosis démontre la pertinence de distinguer éditer dans, avec ou en numérique, avec ici l’élaboration d’un modèle épistémologique intermédiaire et original dans un contexte éditorial éminemment complexe. Il s’agit d’un modèle parmi d’autres, ces modèles pouvant être observés notamment dans le champ des humanités numériques où de nombreuses expérimentations sont réalisées. Avant d’aborder une seconde étude de cas, dédiée à une chaîne d’édition numérique, nous analysons l’émergence d’une édition numérique en lien avec l’approche des humanités numériques.

4.

#3.4. Fondement de l’édition numérique au prisme des humanités numériques
</>Commit : 07f3e07
Source : https://src.quaternum.net/t/tree/main/item/content/p/03/03-04.md

Les pratiques du numérique dans l’édition sont plurielles, oscillant entre des tentatives de duplication de modèles préexistants et la constitution de nouvelles modalités de fabrication et de production. À ce titre les humanités numériques représentent un héritage épistémologique qu’il est nécessaire d’analyser. En effet, l’approche critique et réflexive des humanités numériques est un apport majeur pour étudier ou concevoir des dispositifs techniques. De quelle manière des paradigmes qui émergent avec le numérique reconfigurent des pratiques d’édition ? L’évolution numérique des sciences humaines, originellement tournées vers le texte et le livre, nous permet de répondre à cette question.

Définition Humanités numériques

Liste des conceptsLes humanités numériques constituent une approche multidisciplinaire au sein des sciences humaines et sociales, à la fois comme une évolution des pratiques de recherche et comme une attitude critique face à l’usage des technologies. Il s’agit d’adopter des méthodes avec le numérique, et plus globalement avec l’utilisation de l’informatique, principalement pour calculer les données extraites des textes et exploiter ces calculs. Il s’agit aussi d’un mouvement critique réflexif, interrogeant les outils invoqués et l’effet de leurs usages sur nos modèles épistémologiques.

Cette section examine le lien entre la constitution des humanités numériques et celle de l’édition numérique.

Loin d’être un mouvement uniforme ou homogène, les humanités numériques sont multiples et imposent des réflexions que nous présentons sous l’angle des questions d’édition ou de publication. Dit autrement, les humanités numériques sont un terrain d’expérimentation de l’édition au contact du numérique, adoptant une approche expérimentale, éditoriale et critique. Nous nous focalisons sur ces trois aspects.

#3.4.1. Définir les humanités numériques en cinq dimensions

Définir les humanités numériques est complexe, cette approche pluridisciplinaire n’est pas homogène et ne réside pas dans la simple addition des humanités et du numérique, il s’agit bien plutôt d’une conjonction que nous établissons à travers cinq dimensions : calculer, produire, réfléchir, décoder, et publier.

Les tentatives habituelles de définition de l’approche des humanités numériques s’appliquent à une exploration historique, les travaux de Roberto Busa ou de Paul Otlet sont à ce titre considérés comme deux points de départ privilégiés d’un mouvement qui s’est intensifié à partir des années 1970 (, ) (). Les humanités numériques : Une histoire critique. Éditions de la Maison des sciences de l’homme. . Plutôt que de nous intéresser à ces figures, par ailleurs déjà très documentées, nous observons des pratiques actuelles qui révèlent une forte diversité en sciences humaines. Cette diversité est valorisée dès la stabilisation de l’expression digital humanities au début des années 2000 avec la publication de l’ouvrage fondateur A Companion to Digital Humanities (, & al., ) Schreibman, S., Siemens, R. & Unsworth, J. (dir.). (). A Companion to Digital Humanities. Blackwell Publishing. . Nous constatons ainsi les très nombreuses définitions données par les personnes mêmes se réclamant de cette approche :

The use of digital tools, media and corpora in the humanities, thus changing both the objects and practices in the Humanities. [Thomas Lebarbé]

using digital tools to explore, analyze, and disseminate humanities scholarship [Sarah Werner]

The use of digital media and tools to answer traditional humanities questions, and the study of new questions that are formed by the intersection of modern methods/tools/models and humanitistic sources. [Laurie Allen]

I define Digital Humanities as the re-figuring of computing, a historically positivist field, in order to pose and answer the more speculative questions typical of the humanities. Of late I have been considering the difference between Digital Humanities (which seems to centre on humanities inquiry) and humanities computing (which focuses on the intersection of humanities with computer as a material object). [Constance Crompton]

The study of digital culture; a collaborative praxis; the intersection of computing with the questions of the humanities; challenging; exciting; fluid. [Katherine McSharry]

(Citation: , ) (). What Is Digital Humanities? What is Digital Humanities. Consulté à l’adresse https://whatisdigitalhumanities.com/

Ce ne sont ici que quelques définitions isolées parmi les 817 réunies sur le site web « What Is Digital Humanities? ». Au-delà d’être une preuve de la richesse de ce domaine, il s’agit aussi de constater une certaine forme de dissonance ou d’éparpillement. Dissonance, car les approches scientifiques classiques nous ont habitués à voir des domaines fortement encadrés, avec des traditions parfois très anciennes. Éparpillement, car les humanités numériques n’ont pas vocation à former un tout homogène ou uni.

Pour comprendre comment cette diversité s’est constituée, notons que l’origine des humanités numériques est le calcul. Cette première dimension consiste plus précisément dans le fait de pouvoir atteindre des résultats impossibles sans le recours à l’informatique. C’est ce que décrit Pierre Mounier dans Les humanités numériques : Une histoire critique (, ) (). Les humanités numériques : Une histoire critique. Éditions de la Maison des sciences de l’homme. avec la présentation du projet d’indexation de Roberto Busa. Compter les mots, les occurrences, les motifs textuels ou littéraires, avec l’aide de petites mains rarement mentionnées (, ) (). What Lies under the Petites Mains: Reconsidering the Traditional Model of the Humanities. CCLA. , est le point de départ d’une reconfiguration des humanités. Les humanités numériques se diversifient alors rapidement, allant de la linguistique à l’histoire, en passant par la documentation, l’étude des médias, la littérature ou l’étude des réseaux.

Le point commun des multiples disciplines qui se croisent ou se rejoignent dans les humanités numériques est le fait de produire quelque chose, il s’agit de leur deuxième dimension.

Building is, for us, a new kind of hermeneutic – one that is quite a bit more radical than taking the traditional methods of humanistic inquiry and applying them to digital objects.

(Citation: , ) (). On Building. Dans Terras, M., Nyhan, J. & Vanhoutte, E. (dir.), Defining digital humanities: a reader. (pp. 243–245). Routledge.

Pour Stephen Ramsay il s’agit de la condition préalable des humanités numériques : il n’y a pas de recherche possible sans production. Celle-ci ne consiste pas à produire des textes du type articles ou autre publications académiques classiques, mais à fabriquer des objets numériques très divers. Que ce soit des sites web, des textes encodés, des visualisations, des cartes, des bouts de code, ou des bases de données, adopter l’approche des humanités numériques implique de produire un résultat. Ce résultat n’est pas une fin en soit, il ne s’agit pas forcément d’un artefact ou d’un dispositif immédiatement réutilisable, mais plutôt d’une preuve de concept qui accompagne ou qui structure une démarche scientifique. Stephen Ramsay fait par ailleurs une distinction très intéressante entre ce qu’il considère comme étant produire et programmer. Si l’approche des humanités numériques implique de produire des objets numériques, est-il pour autant nécessaire de faire de la programmation ? Quinn Dombrowski aborde longuement (, ) (). Does Coding Matter for Doing Digital Humanities? Dans O'Sullivan, J. (dir.), The Bloomsbury Handbook of the Digital Humanities. (pp. 137–145). Bloomsbury Academic. cette question en généralisant cette approche : à quel point est-il utile de décortiquer les boîtes noires présentes dans les processus de nos recherches scientifiques ? Cette volonté de comprendre tout ou partie des rouages des façons de faire de la recherche est une forme de réflexivité, inhérente aux humanités numériques.

Calculer, produire, et maintenant réfléchir, voilà trois dimensions qui émergent des humanités numériques, et qui peuvent lui être généralisées. Le recours à l’informatique, ou plus globalement au numérique, n’est pas la seule raison d’être des humanités numériques. Le questionnement de l’usage des technologies est également partie prenante de cette approche et transparaît dans de nombreux projets. Dans Expérimenter les humanités numériques, plusieurs initiatives sont présentées avec un regard critique, accompagnés de « leur lot de remises en question épistémologiques » (, & al., , p. 14) Cavalié, É., Clavert, F., Legendre, O. & Martin, D. (dir.). (). Expérimenter les humanités numériques : Des outils individuels aux projets collectifs. Presses de l’Université de Montréal. Consulté à l’adresse https://www.parcoursnumeriques-pum.ca/9-experimenter/ . Le choix du logiciel libre, réalisé dans une vaste majorité de projets en humanités numériques, est un exemple de cet usage conscient et critique de la technique. Le logiciel libre est accessible, modifiable et distribuable, il correspond à une démarche scientifique ouverte, vérifiable et durable. Autre preuve de cette réflexivité, l’importante littérature sur la constitution même de ce champ. Les humanités numériques sont, dès sa cristallisation en 2004 (, & al., ) Schreibman, S., Siemens, R. & Unsworth, J. (dir.). (). A Companion to Digital Humanities. Blackwell Publishing. , un domaine qui se décrit et se critique lui-même. Impossible ici de citer les très nombreuses références (articles, ouvrages, communications, etc.), nous pouvons toutefois signaler les séries d’ouvrages (Companion puis les Debates) ou les revues (Computers and the Humanities, Digital Humanities Now, Digital Humanities Quaterly, Revue Humanités Numériques, Digital Studies / Le champ numérique pour n’en citer que cinq) qui toutes consacrent leurs textes autant à des résultats de recherche que des descriptions de ce que sont les humanités numériques et leur évolution. Les humanités numériques s’écrivent elles-mêmes, autant dans des textes que dans des outils.

Après la réflexivité, ou la conscience de sa propre pratique, un autre mouvement double est observable dans les humanités numériques. Lorsqu’il s’agit d’analyse des textes à l’aide de machines à calculer comme des ordinateurs, une opération commune est de les manipuler, par exemple en extrayant certaines occurrences ou en les balisant afin de les sémantiser. Chercher des termes ou enrichir sémantiquement, deux actions différentes qui ont chacune pour but d’analyser ces textes. Ces opérations techniques impliquent aussi de comprendre les démarches et les outils invoqués. Il faut, d’une certaine façon, embrasser le code tout en embrassant le texte. Sans pour autant s’inscrire dans la démarche des Critical Code Studies (ou études critiques du code en français)Les Critical Code Studies se revendiquent d’ailleurs elles-mêmes des humanités numériques, entre autres., la compréhension globale des outils utilisés est une spécificité des humanités numériques.

[…] les humanités numériques sont à considérer comme une démarche qui se propose d’outiller informatiquement la recherche en sciences humaines et sociales et d’en diffuser les résultats en prenant soin, dans un mouvement de distanciation, d’examiner comment les outils mis en place et développés sont susceptibles d’influencer le travail de recherche lui-même.

(Citation: , , p. 26) (). Modélisation des sources anciennes et édition numérique. Thèse de doctorat, Université de Caen. Consulté à l’adresse https://hal.science/tel-01279385

Il s’agit autant de décoder le logiciel, la plateforme ou le programme, que de critiquer l’usage de ces technologies.

Calculer, produire, réfléchir, décoder, et publier. Cette cinquième dimension est essentielle pour les humanités numériques, et rejoint la question de la production. L’objet principal des sciences humaines est le texte, et plus précisément le livre ou toute autre forme de publication. L’évolution des différents champs scientifiques s’est faite parallèlement à une modification des pratiques d’édition et de publication. Les humanités numériques n’échappent pas à ce lien entre chercher et publier, il est même constitutif de cette approche. Cela est particulièrement visible avec les deux ouvrages collectifs Read/Write Book, publié en 2009 (, ) Dacos, M. (dir.). (). Read-Write Book : le livre inscriptible. Centre pour l'édition électronique ouverte. , et Read/Write Book 2, publié en 2012 (, ) Mounier, P. (dir.). (). Read/Write Book 2: une introduction aux humanités numériques. OpenEdition Press. . Les deux opus se répondent et se complètent, démontrant combien l’évolution du livre et de l’édition est conjointe de l’émergence des humanités numériques.

#3.4.2. Chercher et publier

Comment des projets de recherche qui s’inscrivent dans les humanités numériques se développent-ils avec une forte composante éditoriale ? La recherche scientifique est réalisée dans une perspective de publication, cette composante est essentielle pour soumettre, valider puis partager la connaissance ; l’évolution des pratiques scientifiques est mêlée à celle des pratiques de publication. Le modèle épistémologique des humanités numériques est constitué de l’édition numérique. Cinq exemples illustrent ce phénomène, cinq publications qui démontrent combien les humanités numériques sont des dispositifs de production de formes éditoriales expérimentales ou originales.

Le premier exemple est la collection « Read/Write Book » et ses deux opus dirigés respectivement par Marin Dacos (, ) Dacos, M. (dir.). (). Read-Write Book : le livre inscriptible. Centre pour l'édition électronique ouverte. puis Pierre Mounier (, ) Mounier, P. (dir.). (). Read/Write Book 2: une introduction aux humanités numériques. OpenEdition Press. . Il s’agit de deux recueils de textes issus de plusieurs événements et initiatives : des ateliers, des séminaires, des THAT Camp, des billets de blogs, etc. Les deux livres ont été publiés par OpenEdition Press en version imprimée et en ligne en libre accès. Si les contenus n’ont en soi pas de forme originale, deux spécificités sont toutefois remarquables : la préexistence de certains textes publiés d’abord sur d’autres espaces, et la question du libre accès. L’apparition de pratiques de publication personnelles, en dehors des canaux classiques que sont les revues, a permis à des textes d’exister et d’intégrer, parfois, les circuits scientifiques traditionnels. Ainsi la majorité des textes des deux opus sont d’abord des billets de blog, des articles de revues non-académiques ou des transcriptions de conférences. Il ne s’agit pas d’un parcours éditorial classique pour des publications savantes, puisque les contributions de ces ouvrages collectifs avaient déjà fait l’objet d’une préparation et d’une relecture, voire avaient été validés selon des processus divers. Par ailleurs si nous nous replaçons dans le contexte du début des années 2010, il est encore rare de voir des livres directement placés en open access, même en sciences humaines. Cette volonté de donner accès au plus grand nombre et sans restriction est fortement lié aux humanités numériques. C’est d’ailleurs l’un des points qui apparaît dans le manifeste (francophone) des humanités numériques publié dans Read/Write Book 2 :

Nous, acteurs des digital humanities, nous nous constituons en communauté de pratique solidaire, ouverte, accueillante et libre d’accès.

(Citation: , , p. 22) Mounier, P. (dir.). (). Read/Write Book 2: une introduction aux humanités numériques. OpenEdition Press.

Le deuxième exemple de dispositif éditorial original est le livre Digital_Humanities d’Anne Burdick, Johanna Drucket, Peter Lunenfeld, Todd Presner et Jeffrey Schnapp (, & al., ) , & (). Digital_humanities. MIT Press. , dont la forme présente plusieurs particularités. L’introduction comporte un avertissement à ce sujet, pointant le fait que l’ouvrage ne répond pas aux standards académiques classiques. Digital_Humanities est composé d’analyses théoriques, d’études de cas, et d’un guide pour les humanités numériques — constitué lui-même de questions/réponses et de fiches pratiques. Le livre se définit comme un manuelOu Guidebook en anglais. ou un outil pour comprendre et adopter l’approche des humanités numériques. Les autrices et les auteurs ont participé directement à la conception éditoriale de l’objet, concevant ainsi un livre qui reflète la dimension expérimentale et en cours de constitution des humanités numériques — avec par ailleurs une forte coloration en design.

Le troisième exemple est Pratiques de l’édition numérique, publié en 2014 et dirigé par Michael Sinatra et Marcello Vitali-Rosati ( & , ) Sinatra, M. & Vitali-Rosati, M. (dir.). (). Pratiques de l’édition numérique. Presses de l'Université de Montréal. Consulté à l’adresse http://www.parcoursnumeriques-pum.ca/1-pratiques , qui rassemble des textes sur l’édition numérique, la culture numérique et les humanités numériques. À la suite de Read/Write Book, ce projet éditorial revendique le lien fort entre édition numérique et humanités numériques. Le livre est publié en différentes versions dont une destinée au grand public — imprimée en petit format avec un appareil critique minimal et un petit prix —, et une version enrichie en ligne — dont les fonctionnalités et la forme sont proches de l’ouvrage Exigeons de meilleures bibliothèques de David R. Lankes déjà présentéVoir 1.5. Les Ateliers de [sens public] : repenser le livre. L’effort est ici mis sur l’accès au livre (libre pour sa version web) et les enrichissements intégrés dans le texte. Pratiques de l’édition numérique est une démarche éditoriale performative, qui vise à prouver les hypothèses et les théories présentées en les appliquant à la publication elle-même.

Le quatrième exemple est Design et humanités numériques d’Anthony Masure (, ) (). Design et humanités numériques. Éditions B42. Consulté à l’adresse http://esthetique-des-donnees.editions-b42.com/#design-et-humanites-numeriques/complement/contenu-complementaire-1 , dont chacun des sept chapitres thématiques répond à une question de recherche et peut être lu indépendamment des autres. Le format poche et le prix accessible en font un manuel à emporter avec soi. Le livre est accompagné d’un « contenu complémentaire » qui comprend autant d’études de cas que de chapitres, en accès libre sur un site web hébergé par l’éditeur B42http://esthetique-des-donnees.editions-b42.com. La méthodologie adoptée par Anthony Masure rejoint celle des humanités numériques : étudier des objets et des pratiques numériques pour en proposer une analyse synthétique et moléculaire — en s’attachant à détailler des aspects précis selon des critères explicités. Le fait de proposer un « contenu complémentaire » diffusé sur le Web, en parallèle de l’édition imprimée, correspond à des usages en vigueur dans les humanités numériques.

Ces quatre exemples héritent fortement des modes de publication classiques, il s’agit de modélisations éditoriales hybrides jouant avec les codes et les contraintes de l’imprimé. Les deux exemples suivants ont dû créer un nouveau paradigme pour accueillir des travaux en humanités numériques : les data papers et la revue Journal of Digital History. Les data papers sont des publications académiques qui décrivent et analysent des jeux de données, notamment grâce à des visualisations graphiques, en incluant parfois le code des scripts des traitements computationnels. L’enjeu d’un data paper est de donner des outils critiques et méthodologiques pour comprendre et analyser des données, notamment via l’utilisation d’un notebook, « un document exécutable qui hybride écriture et automatisation informatisée », dont les scripts trient, classent ou extraient des informations de ces données.

[L’utilisation de notebooks] facilite la vérification du processus, mais cela offre surtout des pistes de réutilisation de tout ou partie de la méthodologie déployée, des requêtes en langage python effectuées et des bibliothèques mobilisées pour la réalisation de ces data papers.

(Citation: & , ) & (). Poétique et ingénierie des data papers. Revue française des sciences de l’information et de la communication(24). https://doi.org/10.4000/rfsic.12938

C’est donc autant l’objet — des jeux de données —, que la forme même des publications qui en parlent, qui changent profondément ici.

La revue Journal of Digital History pousse ce principe encore plus loin avec des articles qui comportent trois couches : une couche narrative qui explique le sujet, la démarche et les enjeux ; une couche herméneutique qui consiste en la méthodologie utilisée, y compris les scripts nécessaires au traitement des données ; et une couche de données qui donne accès aux données originales et qui permet une réutilisation de celles-ci lorsque cela est possible ( & , ) & (). Publishing digital history scholarship in the era of updatism. Journal of Digital history(jdh002). https://doi.org/10.1515/JDH-2022-0003 . Les articles sont diffusés sur une plateforme dédiée, permettant de passer d’une couche à une autre, et proposant des outils de navigation et de prévisualisation des textes. Cette démarche de publication s’inscrit directement dans les humanités numériques en produisant un objet numérique original, en repensant la forme des publications, en permettant un libre accès aux contenus, et en prévoyant une réutilisation des données et des programmes.

Ces six exemples — au total — démontrent le lien constitutif entre humanités numériques et édition, et cette nécessité d’expérimenter à travers des objets de publication chaque fois repensés, comme des traces d’une modélisation épistémologique protéiforme.

#3.4.3. Publier du texte et éditer du code

Certaines des publications ci-dessus présentent deux particularités qui nous permettent de distinguer la publication et l’édition, et d’analyser l’ambiguïté parfois présente entre les deux termes : d’une part en ce qui concerne les espaces de publication non conventionnels et d’autre part les pratiques d’édition du code.

“To publish” is to make something public, to place it within a sphere for broad scrutiny, critical engagement, and community debate. Traditionally, publishing meant finding a journal or press in order to make academic treatises, arguments, and the results of research public— but this “public” was in reality primarily or even exclusively readers initiated in and defined by the discursive conventions of a given field.

(Citation: , & al., , p. 86) , & (). Digital_humanities. MIT Press.

Nous l’avons vu avec le premier opus de Read/Write Book, des démarches de publication peuvent devancer des pratiques d’édition : des billets de blog sont mis en ligne et parfois ensuite réédités dans des recueils qui font l’objet d’une publication académique. Debates in the Digital Humanities, publié en 2012 (, ) Gold, M. (dir.). (). Debates in the Digital Humanities. University of Minnesota Press. , est un autre exemple d’ouvrage qui accueille des billets de blog (tout de même 18 billets de blog pour 29 textes originaux), pour leur intérêt en termes de contenus mais aussi pour leur importance dans un débat qui se fait désormais sur d’autres espaces que les conférences, les revues ou les livres. S’agit-il simplement d’une forme d’urgence à publier ? L’enjeu est plutôt de soumettre ces contenus là où sont les communautés, et dans des espaces parfois informels que leurs auteurs et leurs autrices contrôlent. Le phénomène est déjà observé dans le développement logiciel, où des pratiques s’affranchissent des conventions pour permettre un accès large à des programmes informatiques — sans dépendre des entreprises, des institutions ou de groupes formalisés où les programmes sont habituellement produits. Les humanités numériques bénéficient clairement de ces pratiques issues du partage du code. Qu’est-ce que disent, dans une perspective éditoriale, les pratiques de partage du code, pratique que nous retrouvons dans les humanités numériques ?

Publier du code — le mettre à disposition publiquement — tient autant à une volonté de donner accès à un programme informatique pour l’étudier, l’utiliser ou l’intégrer dans d’autres projets, qu’à une invitation à commenter ou intervenir dans ce code. Si des chercheuses, des chercheurs, des étudiantes et des étudiants publient des textes sur des plateformes de blog, constitue à la fois un engagement dans des conversations qui se font sur le Web, un partage des expériences qui consiste les rendre lisibles et utiles pour d’autres. C’est là le principal point commun entre éditer du code ou publier des textes, il s’agit de faire communauté, d’établir des conversations (, ) (). De la revue au collectif : la conversation comme dispositif d’éditorialisation des communautés savantes en lettres et sciences humaines. Thèse de doctorat, Université de Montréal. Consulté à l’adresse https://these.nicolassauret.net . Nous observons donc la constitution d’uneNous nuançons cette prétendue unité par la suite, les humanités numériques étant autant une communauté que des communautés. communauté active des humanités numériques à travers ces formes de publication et d’édition.

Dans les humanités numériques des efforts conséquents sont déployés pour produire de la connaissance, donner accès à ce qui devient des outils, en mêlant texte et code. Mettre à disposition est une nécessité, non pas tant, rappelons-le, dans une volonté d’accélérer le temps scientifique, mais plutôt pour confronter, pour confirmer ou pour rendre reproductibles les processus de recherche. Cela requiert un apprentissage des techniques de publication et de contribution : créer puis maintenir un site web pour présenter un projet ou un blog pour partager des expériences, rédiger une page web ou publier un billet de blog, commenter des contenus existants ou contribuer à des sites web collectifs, interagir sur des plateformes de réseau social, etc. Ces enjeux révèlent la question de la soutenabilité de telles pratiques, considérant les actions de formation, de documentation et de soin de ces publications comme constitutives d’une pratique scientifique.

#3.4.4. Les apports critiques des humanités numériques

Les humanités numériques sont une approche pluridisciplinaire, mais aussi un mouvement scientifique qui se distingue par sa tendance critique sur plusieurs plans, dont la technique ou la technologie est souvent la transversale commune. Cette réflexivité — faire usage des technologies tout en critiquant cet usage — donne lieu à plusieurs mouvements, divers, dont nous pouvons évoquer plusieurs composantes et leurs origines. Ce panorama, non exhaustif, se justifie également comme une opportunité de porter un regard critique sur les domaines de l’édition et de l’édition numérique.

Cette dimension critique apparaît dès les débuts des humanités numériques, mais la série de livres Debates a plus fortement formalisé plusieurs de ces mouvements. Le premier titre de la série, Debates in The Digital Humanities, publié en 2012 et dirigé par Matthew K. Gold, rassemble une trentaine de textes originaux ainsi que des billets de blog, sur plus de 500 pages (, ) Gold, M. (dir.). (). Debates in the Digital Humanities. University of Minnesota Press. . La troisième partie de cet ouvrage est intitulée « Critiquing the Digital Humanities », avec des contributions qui relèvent de l’intersectionnalité, de l’hacktivisme, de la représentation des femmes dans la recherche scientifique ou encore de l’accessibilité. Il ne s’agit plus seulement d’expliquer comment se constituent de nouvelles méthodologies, de donner à voir des démarches scientifiques en sciences humaines qui utilisent pleinement l’informatique, mais de proposer des regards critiques sur ces pratiques et de constater l’apport de cette posture critique sur les pratiques elles-mêmes. Si A Companion to Digital Humanities est construit autour des enjeux de « principes, applications et dissémination » des humanités numériques, cette perspective théorico-pratique est quelque peu remise en cause dans l’introduction de Debates in the Digital Humanities, marquant une nouvelle étape pour cette approche multidisciplinaire.

This collection is not a celebration of the digital humanities but an interrogation of it. Several essays in the volume level pointed critiques at DH for a variety of ills: a lack of attention to issues of race, class, gender, and sexuality; a preference for research-driven projects over pedagogical ones; an absence of political commitment; an inadequate level of diversity among its practitioners; an inability to address texts under copyright; and an institutional concentration in well-funded research universities. Alongside these critiques are intriguing explorations of digital humanities theories, methods, and practices.

(Citation: , , p. xii) Gold, M. (dir.). (). Debates in the Digital Humanities. University of Minnesota Press.

La surreprésentation des hommes dans l’usage de technologies numériques en contexte académique favorise l’inégalité, il s’agit d’un biais conséquent dans la construction de nos sociétés où la science a un rôle prépondérant. Data Feminism de Catherine d’Ignazio et Lauren F. Klein, deux chercheuses dans le domaine de la science des données, est à la fois une suite d’exemples prouvant sans aucune ambiguïté ce biais de genre, et un manifeste pour penser d’autres modèles et dépasser ce constat.

This book is intended to provide concrete steps to action for data scientists seeking to learn how feminism can help them work toward justice, and for feminists seeking to learn how their own work can carry over to the growing field of data science.

(Citation: & , , p. 19) & (). Data feminism. The MIT Press.

Les sept chapitres de ce livre explorent les enjeux de pouvoir dans la collecte, l’analyse ou le traitement des données, et proposent de construire des approches favorisant l’inclusion, la diversité et la critique dans toute pratique. La question de l’intersectionnalitéCatherine d’Ignazio et Lauren F. Klein décrivent l’intersectionnalité ainsi : « It also describes the intersecting forces of privilege and oppression at work in a given society. » est une question qui émerge dans les humanités numériques grâce à un travail de définition et d’analyse, que réalisent ici les autrices en listant les « problèmes structurels » avec précision ( & , , p. 218-219) & (). Data feminism. The MIT Press. .

Dans Feminist in a Software Lab: Difference + Design, Tara McPherson critique les humanités numériques avec des outils issus du féminisme (, ) (). Feminist in a software lab: difference + design. Harvard University Press. . La chercheuse souligne que la tendance à travailler autour de grands corpus de données avec l’informatique a impliqué une omission des contextes culturels liés à la programmation. Les biais de genre, dus au fait que la majorité des personnes qui programment ou qui dirigent des équipes de développeurs sont des hommes, ont des répercussions sur les objets numériques et leur usage. La démarche de Tara McPherson est proche du courant des Critical Code Studies (, ) (). Critical Code Studies. MIT Press. , elle analyse des objets numériques en observant chacun des rouages dans les logiciels et les programmes. La chercheuse propose une perspective nouvelle pour mettre en lumière les limites de l’usage de l’informatique. Si le point de départ de cet ouvrage et de Data Feminism est une critique de la technique et de ses usages, les sujets traités relèvent de questions sociales beaucoup plus larges.

Dans une perspective s’ancrant dans une critique similaire de la technologie, les principes du minimal computing se sont construits autour d’une problématique simple : comment permettre un accès aux technologies numériques dans des territoires où les ressources matérielles et humaines manquent ? Cette question a émergé dans le contexte du développement de projets en humanités numériques dans des territoires moins privilégiés que des pays occidentaux riches.

Minimal computing is an approach that, first and foremost, advocates for using only the technologies that are necessary and sufficient for developing digital humanities scholarship in such constrained environments.

(Citation: & , ) & (). Introduction: The Questions of Minimal Computing. Digital Humanities Quarterly, 16(2). Consulté à l’adresse https://www.digitalhumanities.org/dhq/vol/16/2/000646/000646.html

Un des projets emblématiques de cette approche est « Ed », un système de publication pour produire des éditions numériques déjà évoquéVoir 3.2. Le livre numérique ou la pensée homothétique, dont Alex Gil est une figure importante. Plutôt que de recourir à des logiciels ou à des plateformes en ligne dont les rouages sont trop complexes pour pouvoir être appréhendés ou compris, Ed est construit autour d’un générateur de site statique — Jekyll — qui convertit et organise des documents depuis un langage de balisage léger vers des formats comme HTML.

Even more importantly, use of these tools hides the vectors of control, governance and ownership over our cultural artifacts.

(Citation: , ) (). Design for Diversity: The Case of Ed. Dans The Design for Diversity Learning Toolkit.. Northeastern University Library. Consulté à l’adresse https://des4div.library.northeastern.edu/design-for-diversity-the-case-of-ed-alex-gil/

L’idée n’est donc pas uniquement d’utiliser moins de ressources, comme se passer de bases de données relationnelles, réduire les dépendances à de multiples langages de programmation, ou pouvoir héberger l’objet numérique produit sur un serveur qui consomme moins d’énergie. L’objectif est de privilégier la compréhension des enjeux culturels ou politiques liés à l’usage de certaines technologies, dans la perspective d’acquérir des connaissances pour maintenir les outils ou les objets produits dans le cadre de l’approche des humanités numériques. Cette démarche a un coût, elle nécessite en effet de développer des compétences en informatique, de se former et de se tenir à jour des principales évolutions. Les approches critiques évoquées ici sont constitutives de l’approche des humanités numériques, plurielles et en mouvement.

#3.4.5. Pour une édition numérique critique et hétérogène

L’approche des humanités numériques apparaît comme un impératif dans nos modes de constitution du savoir désormais numériques, et dans les modélisations éditoriales qui sous-tendent ces modélisations épistémologiques. Le concept de numérique ne peut être défini sans y adjoindre l’approche des humanités numériques, en tant qu’apport intellectuel complémentaire. Les dimensions de calculabilité, de production, de réflexivité, de programmabilité et de publication définissent cette approche pluridisciplinaire.

Définition Édition numérique

Liste des conceptsL’édition numérique est un processus protéiforme, une fabrique du sens dont le numérique innerve des formes plurielles de cristallisation du savoir. L’édition numérique se distingue de l’édition par ses modélisations techniques diverses, autant dans la formalisation de textes, dans la constitution d’artefacts originaux, dans la définition de modalités de partage que dans la publication conjointe de contenu et de code. Un rapprochement peut être établi entre l’apparition des humanités numériques et l’émergence de l’édition numérique, nous considérons ainsi que celle-ci se fonde au prisme de l’approche pluridisciplinaire des humanités numériques.

Les liens forts qui existent entre humanités numériques et édition nous prouvent à quels points l’acte même d’éditer constitue une série de réflexions sur des processus en puissance. Les mouvements critiques, dans ou autour des humanités numériques, constituent un socle théorique permettant d’envisager les humanités numériques non pas comme une discipline, mais comme une méthode, un espace, une communauté et un ensemble d’outils et de pratiques pour penser notre rapport à la technique. Un numérique hétérogène, loin des démarches homothétiques, existe, et est composé aussi de projets marginaux tels que le recueil Novendécaméron qui fait l’objet d’une étude de cas dans la section suivante.

5.

#3.5. Le Novendécaméron ou éditer avec et en numérique
</>Commit : 07f3e07
Source : https://src.quaternum.net/t/tree/main/item/content/p/03/03-05.md

Si éditer avec le numérique permet de prendre la mesure de l’usage du numérique dans les lettres, il nous reste à définir ce que signifie éditer en numérique, dans cette dimension expérimentale et réflexive propre aux humanités numériques. Loin de se réduire à un format de sortie, tels que les formats PDF, EPUB ou même HTML, éditer en numérique signifie repenser les flux de production, les espaces d’édition ou encore l’architecture de la modélisation des textes et des artefacts. L’étude de cas d’Ekdosis nous a permis de comprendre qu’est-ce qu’éditer avec le numérique signifie, appliquant certaines potentialités à la fabrication d’un objet complexe comme une édition critique. Cette fois c’est un projet littéraire que nous analysons, un recueil hétérogène de prose, de poésie ou d’essais. Ce projet ne correspond pas à la représentation la plus courante des humanités numériques, plus souvent concentrées sur l’extraction et le traitement de grand corpus, néanmoins il est question ici de méthodes et d’approches qui y ont une grande part. Si le projet revet une certaine forme de marginalité, c’est justement cette manière de faire, originale, qui nous intéresse plus particulièrement, ainsi que son appropriation par les personnes impliquées.

Nous décrivons cet objet et la chaîne d’édition qui a permis sa fabrication : l’origine du projet, ses objectifs intrinsèques, mais aussi la pile technique. Enfin nous détaillons les questionnements qui ont surgi durant le processus d’édition et de conception de la chaîne d’édition. L’auteur de cette thèse fait partie des quatre personnes qui ont animé et porté ce projet.

#3.5.1. Un feuilleton numérique

Le Novendécaméron ( & , ) Vallée, J. & Ringuet, C. (dir.). (). Le Novendécaméron. Ramures. Consulté à l’adresse https://novendecameron.ramures.org/ Les deux versions du Novendécaméron, web et imprimée, sont distinguées dans les références bibliographiques. est un feuilleton littéraire en temps de pandémie publié aux éditions Ramures, un projet éditorial collectif qui réunit des textes et les diffuse à l’ère numérique, avec le numérique. Au printemps 2020 Chantal Ringuet et Jean-François Vallée lancent un appel à textes, en plein confinement, au Québec et en France. Quelques mois plus tard c’est une vingtaine de contributions textuelles et autant d’illustrations qui est rassemblée puis éditée. L’objectif est de publier une version numérique (un livre numérique au format web) d’un recueil hétéroclite d’auteurs, d’autrices, de chercheurs, de chercheuses, de traducteurs et de traductrices, et d’artistes francophones d’Europe et du Canada, de façon successive dans le temps, à la manière des feuilletons du dix-huitième siècle. C’est chose faite au printemps 2021, un an après les prémisses de cette aventure éditoriale, les vingt-deux œuvres sont publiées en ligne à raison de deux textes par semaine pendant plus de deux mois. Il s’agit aussi d’une manière de créer des espaces numériques habitables — autre que les visioconférences avec Zoom — en période de pandémie.

Comme l’annonce son titre, ce recueil numérique a été inspiré par le Décaméron et LHeptaméron, ces œuvres littéraires de la Renaissance qui mettent en scène des personnages en confinement se racontant tour à tour des histoires pendant l’épidémie de peste du 14e siècle en Italie dans le premier cas et des inondations dans le sud de la France au 16e siècle pour le second. […] La fausse — mais opportune — étymologie de ce préfixe nous permet […] d’annoncer un nouvel objet littéraire, créé en contexte pandémique et numérique, dans lequel il est permis d’explorer divers enjeux de cette catastrophe sanitaire qui a menacé nos santés physique et mentale, modifié notre rapport au travail et à nos relations, et peut-être ébranlé les modalités mêmes de notre présence au monde.

(Citation: & , , pp. 11-12) Vallée, J. & Ringuet, C. (dir.). (). Le Novendécaméron. Ramures.

Pour pouvoir rendre ces textes et ces illustrations accessibles, des artefacts sont nécessaires et, en amont, des espaces permettant de travailler ces œuvres. Le projet intègre ceux du Groupe de recherche sur les éditions critiques en contexte numériqueAussi appelé GREN, ce groupe de recherche est dirigé par Michael Sinatra., et c’est à ce titre que Louis-Olivier Brassard et Antoine FauchiéL’auteur de cette thèse. rejoignent le projet pour accompagner sa mise en forme graphique et sa mise en place technique, en tant qu’étudiants auxiliaires de recherche. Il est nécessaire de mettre en place un espace d’édition des textes, pour in fine les rendre disponibles en ligne, c’est en effet le premier objectif : construire un site web qui accueille ces œuvres. Les compétences techniques de Jean-François Vallée et de Chantal Ringuet sont très différentes de celles des deux étudiants, ces derniers sont en effet en capacité d’interagir avec du texte depuis un terminal, alors que l’éditeur et l’éditrice ont besoin d’une interface graphique — en apparence plus accessible et rapide à prendre en main. L’idée est donc de mettre en place deux espaces d’édition et de publication, deux espaces qui peuvent cohabiter et qui permettent à chacune des personnes d’interagir de façon autonome et efficiente. Ces actions d’édition consistent à modifier les contributions et à valider ces modifications en autonomie et de manière fluideNous revenons et nous critiquons par la suite ces qualificatifs, et principalement « efficient » ou « fluide ».. La prise en compte des besoins des différentes personnes impliquées a été une condition de faisabilité du projet. L’autre condition forte est la question de la soutenabilité du projet.

Commencer un projet en considérant sa fin est une pratique qui tend à se répandre au sein des humanités numériques, l’idée étant d’anticiper la façon dont le projet peut ou non être maintenu dans le temps dès son amorce. Les financements accordés par le GREN pour ce projet éditorial sont limitésEntendons par là que le budget est arrêté et qu’il ne peut donc pas être reconduits plusieurs fois., il faut donc anticiper comment les sources des textes peuvent rester lisibles et exploitables, comment des mises à jour peuvent être faites, ou à quel point certaines dépendances techniques peuvent générer une obsolescence par la suite. Loin d’appliquer tous les principes proposés par « The Endings Project » (, ) (). Endings: Concluding, Archiving, and Preserving Digital Projects for Long-Term Usability. KULA: Knowledge Creation, Dissemination, and Preservation Studies, 2. 19–19. https://doi.org/10.5334/kula.35 , il a toutefois été convenu de s’en inspirer pour permettre une durabilité de cette publication. La chaîne d’édition mise en place pour l’occasion est documentée, un journal est mis en place (partagé entre les membres du projet) pour relever les questionnements et les difficultés rencontrés, une évaluation du travail nécessaire au maintien du projet sur les cinq prochaines années est réalisée, et certains choix techniques sont faits pour permettre une durabilité du projet. Par exemple l’usage du générateur de site statique Hugo, composant logiciel chargé de convertir et d’organiser des documents balisés sémantiquement, facilite la gestion sur le long terme. Hugo est en effet installable (ou compilable) depuis un fichier binaire, ce fichier embarquant toutes les dépendances nécessaires. La version de Hugo utilisée pour produire l’artefact à un moment précis est ainsi conservée, dans le cas où les prochaines versions incluraient des ruptures avec les versions précédentes. Pouvoir facilement intervenir dans un environnement précis est une condition de réussite (et un défi) de tout projet informatique.

La diffusion, les espaces de travail et la soutenabilité de ce projet éditorial ont été pensés avec le numérique, c’est-à-dire avec les potentialités permises par un tel environnement, et il en est de même pour les versions du recueil ou des textes. Si la question d’une version imprimée — ou imprimable — est soulevée dès les premiers échanges, il s’agit alors de la déclinaison individuelle de chaque texte dans une forme originale — choix graphiques, mise en page, format de papier. Cette option imaginée au début est laissée en suspens au profit d’une version imprimée complète du recueil, en raison d’une partie du budget non utilisée permettant d’imprimer plusieurs exemplaires. Cette publication devient multi-formats : d’un objectif premier de concevoir un site web — une forme de livre web (, ) (). Le livre web comme objet d’édition ? Dans Catoir-Brisson, M. & Vial, S. (dir.), Design et innovation dans la chaîne du livre. (pp. 141–158). PUF. — nous envisageons dans un second temps la fabrication d’une version imprimable. Les deux formats sont livrés dans deux temps distincts : une première période de diffusion progressive des œuvres étalée sur plusieurs semaines, et un deuxième moment pour mettre à disposition un livre imprimé rassemblant les multiples contributions — plus un avant-propos conséquent pour contextualiser le projet. Deux formats qui ont nécessité la mise en place d’une même chaîne d’édition qui prend en compte ces spécificités.

Figure 3.. Capture d’écran du texte de Nicole Brossard sur la version web du Novendécaméron et les pages imprimées correspondantes

#3.5.2. La pile technique du Novendécaméron

De la structuration des contenus aux versions web et imprimables, en passant par plusieurs espaces d’édition et de publication, comment est constituée la chaîne d’édition du Novendécaméron ? Les rouages techniques révèlent ici les modalités éditoriales, et l’inverse est aussi vrai : des choix techniques ont influencé les façons de penser les artefacts ou les modes de diffusion. Une vue d’ensemble est tout d’abord nécessaire pour comprendre les différentes parties de la chaîne.

Figure 3.. Schéma représentant la chaîne d’édition du Novendécaméron, CC-BY-SA Louis-Olivier Brassard

Cette figure représente les différents composants de la chaîne d’édition mise en place pour éditer le Novendécaméron : le balisage des contenus avec le langage Markdown ; la conversion et l’organisation de ces fichiers source avec le générateur de site statique Hugo ; le versionnement des contenus et du design avec Git ; l’édition avec une interface graphique via le service Forestry.io ; l’hébergement du code source ; le déploiement des artefacts et l’hébergement avec GitLab.com.

Le choix du balisage des textes est une première étape dans le processus de fabrication du Novendécaméron, il répond à deux contraintes : penser un objet éditorial en dehors des méthodes classiques (faisant habituellement appel à un traitement de texte), et permettre d’éditer avec et en numérique. La première contrainte consiste principalement à envisager une séparation stricte entre le contenu et sa mise en forme. La seconde contrainte réside dans le fait de pouvoir convertir une source en de multiple formats ou versions. Une même source est éditée — cette précision est décisive — plutôt que de devoir mettre à jour autant de versions initiales que de versions finales. Le langage de balisage léger Markdown a été choisi pour sa simplicité et son extensibilité possible avec certains convertisseurs. Markdown est en effet conçu pour être converti dans un autre langage de balisage HTML — il est plus longuement analysé par la suiteVoir 4.3. Le langage de balisage léger Markdown : entre interopérabilité et compromis. Il s’agit donc de passer d’un système de balisage à un autre, le premier étant créé pour être lisible et utilisable par des personnes humaines, mais aussi des programmes, alors que le second est produit pour être interprété par des logiciels — en l’occurrence un navigateur web en premier lieu. Markdown est un langage ambigu, il ne dispose pas d’une standardisation comme HTML, mais cette ambiguïté offre une certaine souplesse dans son usage. Avec le générateur de site statique Hugo, il est possible d’utiliser un balisage plus riche : soit en intégrant directement du HTML dans un fichier Markdown, soit en ayant recours à des shortcodes qui définissent une structure différente pour chaque format de sortie — nous détaillons ce comportement dans le dernier chapitreVoir 5.4. La fabrique : éditer des fabriques et fabriquer des éditions.

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title: C'était aussi le printemps
auteur: Marie Céhère
auteur_id: marie-cehere
layout: oeuvres
description: 
date: 2021-04-13
image: images/feature-marie-cehere.png
credits_image: 
weight: "3"
commentaires: oui
publier: oui
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{{< epigraphe >}}

Pour être le printemps, c'est bien le printemps.  
Il y a une clarté blonde dans le ciel,  
Des mottes brunes sous le ciel,  
Un parfum qui flotte autour des femmes  
Et des chatons gris sur les arbres<a class="appel-note" href="#fn:1" style="border-bottom: none; margin-left: .15em;" id="fnref:1"><sup>1</sup></a>.

{{< /epigraphe >}}

Ce sont les premiers vers d'un poème de Gyula Juhász que je lis en
avril, d'abord en français puis en hongrois, puis à nouveau en français.
Les mots commencent à résonner, d'un côté du miroir à l'autre. _"Tavasz
ez is, tavasz."_ dit la première phrase. Je m'attarde sur _"is"_, qui
signifie "aussi" dans la langue de Gyula Juhász: "c'est _aussi_ le
printemps, le printemps" écrit-il littéralement, à un siècle de moi, en
1920, à Budapest.

Le hongrois est une langue qui n'est parlée que par dix millions
d'habitants. Elle n'appartient pas à la famille indo-européenne. Elle ne
ressemble à rien de connu, n'offre aucun point d'appui, aucun repère. Sa
grammaire a été ma boussole, le dessin, et l'antidote à la fois, d'une
réalité désaxée.

{{< petite-ellipse >}}
Code 3.. Extrait du fichier source au format Markdown du texte « C’était aussi le printemps » de Marie Céhère dans le recueil Novendécaméron

Les raisons du choix d’un générateur de site statique pour produire une édition numérique sont multiples. La première est la légèreté de l’artefact obtenu, en effet le résultat est un ensemble de fichiers (principalement HTML et CSS), sans bases de données relationnelles : cela facilite l’hébergement, la migration et l’archivage d’un objet numérique comme un site web. La deuxième est la maniabilité de la modélisation éditoriale, en effet à chaque page (et donc chaque œuvre du recueil) peut être attribué un gabarit différent, un template. Ici ces gabarits sont élaborés avec l’aide de deux langages, il s’agit de HTML et de la bibliothèque de templating propre au langage de programmation Go sur lequel Hugo est construit. Les templates sont une structuration des différentes données — qui peuvent être autant les textes, les métadonnées que des variables diverses —, et il est possible de programmer avec une grande souplesse l’agencement des informations qui sont affichées sur les fichiers de sortie. Le troisième intérêt d’un générateur de site statique, toujours dans le cas de la création d’une édition numérique, tient dans les qualités de l’environnement technique. L’une de ces qualités est la séparation entre les sources de l’édition — au format Markdown — et la modélisation des formats de sortie — grâce aux templates déjà évoqués. Toute la configuration repose sur des fichiers au format texte — format déjà évoqué dans un chapitre précédentVoir 2.3. Abrüpt et ses antilivres, une expérimentation éditoriale et présenté ensuite plus longuementVoir 4.2. Les conditions de la sémantique : format texte et balisage — ce qui permet de travailler dans n’importe quel environnement, et qui ouvre également la possibilité à l’utilisation du versionnementVoir 2.5. Le Pressoir : une chaîne d’éditorialisation.

Un générateur de site statique a la particularité de fonctionner de façon asynchrone, en deux étapes principales. Tout d’abord la modification des contenus et la modélisation éditoriale, et ensuite la génération des formats de sortie. Contrairement à un CMSUn CMS, ou Content Management System, est un système de gestion de contenus, habituellement proposé sous la forme d’un logiciel avec une interface graphique. comme WordPress, un générateur de site statique sépare les étapes de modification des contenus, de production des formats de sortie et de publication (cette publication est hébergement dans le cas d’un site web). Autre particularité importante : par défaut un générateur de site statique ne comporte pas d’interface graphique pour modifier les contenus ou les paramètres, tout passe par les fichiers textes qui sont les sources, et un terminal est nécessaire pour appeler le programme et ainsi générer l’artefact final. Il est toutefois possible de brancher un système sur Hugo pour proposer une interface graphique, il s’agit souvent de service tiers en ligne. Hugo a par ailleurs des spécificités qui en font un bon candidat pour de l’édition numérique.

Hugo est un générateur de site statique qui se distingue par sa rapidité pour convertir et organiser des fichiers, par son absence de dépendances externes, et par sa capacité à produire plusieurs formats de sortie à partir d’une même source (, ) (). Fabriques de publication : Hugo. Consulté à l’adresse https://www.quaternum.net/2021/08/06/fabriques-de-publication-hugo/ . Si cette première spécificité semble peu intéressante pour un projet d’édition numérique, il faut tout de même noter que le fait de pouvoir regénérer le recueil dans son entièreté en quelques millisecondes permet de travailler localement en ayant une mise à jour immédiate à chaque modification — modifications qui concernent les contenus ou les modèles. L’absence de dépendances à des bibliothèques de code externes — entendons par là qui doivent être téléchargées via Internet — est un point important. Hugo peut être installé depuis un seul fichier binaire, ou être compilé depuis son code source (hébergé sur la plateforme GitHub), y compris sur des anciennes versions qui pourraient être pertinentes selon le moment dans lequel le projet a été créé. Le code source de Hugo peut être facilement conservé pour permettre une émulation du projet à un temps t, c’est-à-dire en réinstallant le programme. Ce code source comporte par ailleurs une documentation complète, cette dernière étant elle aussi versionnée, il est ainsi possible de naviguer dans le dépôt du code source pour obtenir une version précise du programme et la documentation correspondante. Enfin, Hugo est pensé pour générer plusieurs formats de sortie à partir d’une même source, ce qui n’est pas le cas de la plupart des générateurs de site statique. Hugo permet, en théorie, de produire des formats comme HTML, JSON, XML ou Markdown, l’intérêt étant surtout de générer plusieurs fichiers HTML pour une même source au format Markdown, via des modèles préconçus. Cette fonctionnalité est très intéressante dans l’optique de produire plusieurs artefacts, en appliquant les principes du single source publishing — abordés plus loinVoir 4.3. Le langage de balisage léger Markdown : entre interopérabilité et compromis. Hugo a plusieurs avantages indéniables pour réaliser des éditions numériques.

Les contenus, ainsi que les fichiers permettant de modéliser et de configurer les artefacts, sont versionnés, c’est l’un des intérêts du format texte. Git est le logiciel de gestion de versions utilisé pour ce projet, associé ici à la plateforme GitLab.com. L’usage qui en est fait est très similaire à ce qui a été décrit avec le PressoirVoir 2.5. Le Pressoir : une chaîne d’éditorialisation. Outre la facilité d’usage dans les phases de développement, Git permet de retrouver tous les états du projet et de pouvoir déceler des éventuelles erreurs d’édition, soit pour les corriger soit pour revenir à un état antérieur du projet. La plateforme GitLab apporte plusieurs fonctionnalités, dont le déploiement continu ou une API sur laquelle des services externes peuvent venir se connecter. C’est le cas de l’interface graphique d’édition qui a été utilisée.

Disposer d’espaces d’édition qui correspondent aux capacités des différentes personnes impliquées dans le projet est important. Ces capacités sont toutefois délicates à définir, l’objectif n’étant pas non plus de proposer les mêmes outils — et les mêmes pratiques associées — tels qu’un traitement de texte. Nous pouvons toutefois signaler qu’il s’agit de modifier du texte, avec comme nécessité une compréhension du langage de balisage léger Markdown, et comme condition une interface qui permet de guider le balisage et de gérer les documents — enregistrer ou modifier le statut (brouillon/publier). L’objectif est de faire cohabiter un espace d’édition du texte sans devoir installer de logiciel — avec l’apprentissage qui l’accompagne souvent — avec un espace de développement où le format texte et les interfaces textuelles prédominent. Nous l’avons dit, il est possible de brancher un service tiers qui fait office d’interface graphique. Pendant toute la durée du projet (du printemps 2021 à l’hiver 2023), le service Forestry.ioLe service a été supprimé en avril 2023, et remplacé en partie par Tina.io (https://tina.io). a été utilisé, offrant un accès aux contenus via une interface graphique.

Figure 3.. Capture d’écran de Forestry.io pour le texte « Vivre à deux » de Hélène Rioux

Forestry.io est un éditeur de texte en ligne, c’est une application qui permet de gérer des paramètres liés à la gestion d’un générateur de site statique et à la prévisualisation des artefacts. Le fonctionnement de Forestry.io est relativement simple, il dispose d’un éditeur de texte pour créer et modifier les différents fichiers (au format texte) via une interface graphique, rendant par exemple plus lisible la gestion des paramètres dans l’entête des fichiers Markdown des œuvres. Louis-Olivier Brassard et Antoine Fauchié ont principalement eu recours au terminal ou à des éditeurs de texte pour interagir avec les contenus, la configuration ou le design du projet. Ces deux espaces d’édition ont permis aux différentes personnes d’interagir de façon autonome. Ils sont par ailleurs accompagnés d’espaces de publication, créant ainsi des sas intermédiaires avant la mise en ligne finale.

Publier ne consiste pas seulement à rendre publique une édition — ici numérique —, mais aussi à produire des formes intermédiaires pour un public restreint, permettant de relire, tester et vérifier un artefact. En partant du versionnement des contenus et de la modélisation du recueil — avec Git —, un système de déploiement continu a été mis en place. Il s’agit de déclencher une action à chaque modification déclarée, en l’occurrence cette action est la génération, avec Hugo, de tout le site web ou de la version imprimable, puis d’héberger les fichiers générés pour les rendre disponibles. Déployer un livre (, ) (). Déployer le livre. Études du livre au XXIe siècle. Consulté à l’adresse https://deployer.quaternum.net est un acte à la fois original et logique. Original, car il s’inspire de pratiques issues du développement logiciel — qui partage avec l’édition des processus de publication —, et logique puisque ce déploiement numérique est une transcription de certaines modalités de l’édition — y compris imprimée. Loin d’être une homothétisation, comme nous l’avons évoqué précédemmentVoir 3.2. Le livre numérique ou la pensée homothétique, le processus à l’œuvre profite des possibilités de l’informatique.

Figure 3.. Schéma du déploiement continu pour le cas d’un livre numérique, extrait de l’article « Déployer le livre » précédemment cité

Pour l’éditrice et l’éditeur, disposer d’un site web de développement pour relire le livre est d’une grande aide, autant au début du projet que lors des ultimes corrections après la mise en ligne publique. Pour les concepteurs, c’est un moyen de contrôler le rendu final avant de le rendre disponible pour toutes et tous.

Cette chaîne d’édition, complète et complexe, est l’implémentation de plusieurs principes d’édition numérique, comme le single source publishing, la multimodalité ou encore la modularité. La mise en place de ce processus technique n’est toutefois pas isolée, elle s’est faite en éditant les œuvres, en prenant en compte les particularités de chacune des contributions, et en maintenant une conversation continue avec l’éditrice et l’éditeur.

#3.5.3. Des questionnements éditoriaux

L’édition — web et imprimée — du Novendécaméron est un processus qui a soulevé plusieurs questionnements, depuis les rôles des personnes impliquées dans le projet jusqu’aux limites de la chaîne d’édition en termes de modélisation éditoriale, en passant par la gestion des erreurs d’édition. Ces interrogations sont bien souvent liées à des obstacles techniques, que ce soit la gestion du texte ou l’application des principes du single source publishing, pour prendre deux exemples différents. Ces questionnements ont été partagés entre les différents membres du projet pendant tout le processus, ils ont été consignés dans le journal évoqué précédemment. Ils ont fait l’objet de discussions qui ont permis d’alimenter une réflexion plus globale sur l’édition, s’inscrivant pleinement dans les activités du GREN, et plus généralement dans les humanités numériques. Cela a été l’occasion de remettre en cause certains des principes de l’édition classique, ainsi que de porter un regard critique sur la mise en place de nouvelles façons de faire. Plusieurs des remarques qui suivent ont fait l’objet d’une communication en 2022 lors du colloque Humanistica à Montréal (, & al., ) , & (). Le Novendécaméron : Une expérience d’édition littéraire numérique à l’ère de la covid-19. Colloque Humanistica. .

Si des espaces d’édition et de publication sont bien définis, les rôles, dans ce type d’organisation qui se veut horizontale, obligent néanmoins à la question suivante : qui valide quoi ? La direction éditoriale repose sur Chantal Ringuet et Jean-François Vallée, alors que Louis-Olivier Brassard et Antoine Fauchié ont la responsabilité de l’implémentation technique des choix collectifs et de la continuité du fonctionnement du site web. La direction éditoriale ne dispose pas de la possibilité de valider des modifications pour qu’elles soient visibles publiquement, seule la version de développement est automatiquement déployée, les concepteurs doivent intervenir pour déclencher la version de production. Pourquoi ? En cas d’erreur de balisage (dans les textes ou dans certains fichiers de configuration) il y a deux possibilités : soit le déploiement ne peut pas aboutir, et alors c’est la version précédente qui reste en ligne ; soit une partie du site est mal construite et le site dans son ensemble est rendu dysfonctionnel. C’est donc pour prévenir des éventuelles erreurs en production que des vérifications manuelles sont effectuées, erreurs qui par ailleurs requièrent souvent des connaissances approfondies dans le fonctionnement de Hugo — ce qui n’est pas le cas de Chantal et de Jean-François. Des tests auraient pu être intégrés au déploiement, pour ainsi stopper toute mise à jour qui poserait problème, mais leur rédaction et leur implémentation auraient été trop longues.

L’édition se limite-t-elle à une intervention sur les œuvres elles-mêmes (textes, enregistrements sonores, photographies et illustrations) ? Dans le premier chapitre dédié au livreVoir 1.2. La forme du livre et sa matérialité nous avons fait le constat que le travail sur la forme des artefacts éditoriaux fait partie intégrante de l’acte d’édition. Ici le design du livre web et du livre imprimé consiste en des choix graphiques, mais aussi en la modélisation des formats, donc dans l’écriture des modèles ou templates. Créer et adapter ces modèles n’est pas une tâche parallèle au travail d’édition, elle en est constitutive.

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Code 3.. Modélisation de l’entête des œuvres dans la version imprimée du Novendécaméron

Dans le template Hugo ci-dessus nous pouvons voir ce qui s’apparente à de la programmation : des fonctions permettent d’extraire des données dans les fichiers source grâce à des variables. Il s’agit d’afficher, sur la première page des œuvres, le titre de l’ouvrage, le nom de l’auteur ou de l’autrice, et éventuellement le nom de la personne qui a traduit le texte. Certaines conditions s’appliquent, et complexifient quelque peu ce modèle, notamment pour vérifier la présence d’un sous-titre ou pour prendre en compte des cas particuliers. Des balises HTML structurent sémantiquement ce bloc de contenu, et des classes CSS sont utilisées pour réaliser une mise en forme graphique, voire pour gérer l’affichage de certains textes — c’est le cas de la classe masquer par exemple. Sans faire une revue de code de ces quelques lignes, nous pouvons noter qu’il s’agit de traduire des instructions structurelles et graphiques via quelques lignes de programmation. Si ces modélisations font partie de l’acte d’édition, il est toutefois difficile pour une personne ne faisant pas de programmation d’intervenir sur ce type de fichier. Plusieurs options peuvent être imaginées pour inclure d’autres profils dans l’écriture de ces modèles, comme une documentation détaillée (pour expliquer chaque fonction, boucle ou variable) et une formation introductive.

Comme nous pouvons le voir ci-dessus, un effort important a été réalisé pour modéliser autant que possible la chaîne d’édition, et pour disposer de toutes les informations structurées afin de produire plusieurs artefacts à partir d’une même source. Une information est inscrite une seule fois dans les fichiers de contenu ou dans les fichiers de configuration du recueil. L’objectif est de ne pas avoir à indiquer à plusieurs reprises la même donnée — ce qui peut conduire à des actions répétées et fastidieuses ou à des erreurs dans le cas où cette donnée change. Cela signifie par exemple que les tables des matières — sur les versions web et imprimée — sont générées à partir des titres renseignés dans chaque fichier d’œuvre. Chaque fois qu’un titre est modifié, les tables des matières se mettent à jour automatiquement. Cette modélisation permet aussi de prévoir plusieurs formats de sortie à partir d’une même source, c’est le principe du single source publishing — abordé plus longuement par la suiteVoir 4.4. Le single source publishing comme acte éditorial sémantique. Nous avons toutefois rencontré plusieurs limites avec ce fonctionnement, soit dans la capacité à programmer certains modèles — plus par manque de temps — soit dans la possibilité de structurer les informations suffisamment précisément. Avec l’expérience du Novendécaméron, les limites ont été principalement temporelles ; certains compromis pratiques nous ont éloigné de certains principes théoriques, tout en nous permettant de finaliser le projet.

L’absence de standardisation du langage de balisage léger Markdown engendre un certain nombre d’obstacles, d’autant plus lorsque plusieurs composants doivent interpréter ou convertir ce format. Les erreurs apparaissent le plus souvent pendant le processus de fabrication des artefacts, leur gestion est grandement facilitée par un système de gestion de versions. Les erreurs sont versionnées. Si un problème survient et empêche la génération des différents formats, il suffit d’identifier le commit à l’origine pour repérer l’erreur et la corriger. Cela a permis notamment de découvrir un problème récurrent de balisage, problème que l’interface Forestry.io introduit lorsqu’il y a des appels de note. Ces appels sont balisés en Markdown de cette façon : du texte avec un appel de note ici[^appel]. Nous l’avons dit, Markdown est un langage non standardisé et permissif, et Forestry.io n’implémente pas Markdown de la même façon que Hugo, ainsi le balisage [^appel] n’est pas interprété et les crochets sont échappés par Forestry.io pour éviter tout autre problème. À chaque enregistrement d’un document qui comporte des appels de notes, Forestry.io transforme le balisage [^appel] en \[^appel\] annulant la signification et son interprétation par Hugo. Quand bien même le versionnement nous permet de trouver ce problème et de le corriger, l’ambiguïté de Markdown est une source de contraintes qui pourraient être levées en maîtrisant mieux chacun des composants — éditeur, convertisseur, déploiement, etc.

Pour clore ces questionnements survenus pendant l’édition du Novendécaméron, une réflexion a servi de fil rouge tout au long de la préparation des versions web et imprimée du recueil, partagée avec les quatre membres de cette aventure. À quel point le projet peut-il devenir une base générique pour de futures publications ? Est-ce qu’il est possible, envisageable, ou même souhaitable de modéliser ce livre afin de pouvoir le dupliquer pour de futures publications au sein de la structure Ramures ou par d’autres initiatives extérieures ? Si toute la chaîne d’édition a été pensée pour pouvoir être utilisée dans d’autres projets, plusieurs limites ont été rencontrées. Certains développements ont été envisagés, notamment sur la création de modèles de pages ou de blocs de contenu, mais laissés de côté parce que trop chronophages. Ensuite le livre présente trop de cas particuliers, il est ainsi très difficile d’isoler chacun de ces cas pour les modéliser, les documenter et rendre reproductible ces structurations. Ce recueil est hétérogène de par ses œuvres diverses, qui vont de la prose à l’essai en passant par la poésie, l’illustration ou le journal. Toutefois certains principes, dont la manière dont est construite la chaîne d’édition ou l’architecture des contenus, peuvent être repris pour d’autres projets. Plutôt que de parvenir à modéliser totalement ce projet éditorial, nous avons partagé plusieurs aspects du projet pour permettre à d’autres de les réutiliser, par exemple le fait de fabriquer un fichier PDF à partir des technologies du Web, ou l’usage de l’impression à la demande pour produire les exemplaires imprimés — ici via la plateforme Lulu.com.

Le Novendécaméron est un objet éditorial fabriqué avec une chaîne d’édition élaborée au fur et à mesure du processus d’édition. C’est la principale spécificité de cette expérience éditoriale, au-delà de la dimension multimodale du projet ou des questions sous-jacentes qui ont émergé pendant les phases de fabrication. Cette réflexivité est commune aux humanités numériques. Cette chaîne d’édition, la modélisation des œuvres, et la définition de scénarios pour l’édition multimodale constituent des formats qui fondent et organisent le travail éditorial. Nous devons désormais analyser ces questions de format, en tant qu’origine d’une démarche de modélisation du texte.

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